S’il est connu grâce à des prises de vue le représentant sous les assauts de l’océan, le phare du Four n’en reste pas un moins un des plus meurtriers des phares de France, que ce soit lors de sa construction ou lors de son activité. Pour mieux découvrir ce bâtiment, je vous propose de découvrir deux documents anciens. Le premier, extrait du traité des ports de mer par P Berthot (Georges Fanchon éditeur) dans les années 1892 nous fait revivre la construction de ce bâtiment et apporte une description très précise de la tour. Le deuxième article est extrait du journal l’Illustration numéro 2784 du 4 juillet 1896 et relate différents accidents dramatiques et les difficiles conditions du métier de gardien de phare. Je vous laisse en compagnie de ces deux revues et de quelques commentaires que j'ai cru bon de rajouter afin de compléter l'ensemble ...

 

En 1810, un ingénieur de Saint Nazaire, François Plantier, rédige ce constat sur le passage du Four : "Combien de marins, après avoir couru tous les dangers d'une longue et pénible navigation, ont terminé leur voyage et leur vie sur ce fatal rocher ? Cet ecueil est celui de tous qu'il serait important de baliser". En 1816, la construction est décidée, et c'est une tour inspirée des constructions d'Eddystone et Bell Rock, surtout pour la base de l'édifice, qui est retenue.C'est bâtisse est construite selon le modèle dit "tour trompette".Le Four devient le premier phare construit sur les côtes françaises.

Article paru dans le livre Le traité des ports de mer par P Berthot (Georges Fanchon éditeur) dans les années 1890 :

PHARE DU FOUR

Le phare du Four est construit à l’extrémité nord du chenal de ce nom, sur la roche la plus avancée en mer, à deux miles à l’ouest du petit port d’Argenton ; cette roche, formée d’un granit très dur, s’élève à 2 mètres environ au-dessus du niveau des hautes mers, et il devient impossible de l’accoster dès que la mer est agitée.

Dans les gros temps, les lames y déferlent avec un telle fureur, qu’elles s’élèvent au-dessus de la lanterne du phare, et ont brisé des volets de 0.06m d’épaisseur qui fermaient, pendant la période d’exécution des travaux, les étroites fenêtres de la tour. Les dépôts et les chantiers de préparation des pierres étaient établis dans le port d’Argenton, d’où partait, quand les circonstances de mer paraissaient favorables, la flottille qui transportait, sur la roche, les ouvriers et le matériaux de construction.

Des échelons, diversement disposés et distribués, permettaient aux ouvriers de gravir les parois abruptes et glissantes, et une grue très simple, n’offrant presque pas de prise à la mer, servait au débarquement du matériel.Le phare consiste en une tour d’un diamètre intérieur de 4.50m, établie sur un massif de maçonnerie arasé à 2 mètres au-dessus des pleines mers d’équinoxe et encastré dans le rocher dont il enveloppe les parties les plus hautes. Le mur a 2.75m d’épaisseur à la base et 1.18m au sommet. Au-dessus de la corniche du couronnement, dont le larmier est soutenu par seize consoles, s’élève un parapet composé de dalles de 0.20m d’épaisseur, assemblées dans des pilastres.

 

La tour s’élève à 22.70m au-dessus du massif de la base ; à cette hauteur, elle est surmontée d’une murette hexagonale en tôle, de 2.40m de diamètre, au-dessus de laquelle s’élève la lanterne ; le plan focal dépasse de 28 mètres le niveau des plus hautes mers.

Les maçonneries sont exécutées en moellons de granit posé à bain de mortier de ciments de Portland, avec parements en pierres de grand appareil.

La déclivité très prononcée de la roche, vers le Sud, a commandé les plus grandes précautions dans l’implantation du phare.

Le rocher a été profondément entaillé partout en redans concentriques, inclinés vers le centre de la tour, et de nombreux goujons en fer, de 0.07m de diamètre, y ont rattaché les premières assises de la maçonnerie. Des crampons de même métal relient entre elles toutes les pierres de l’assise du cordon, et une vigoureuse ceinture, également en fer, est encastrée au-dessus des consoles de la corniche. Les pilastres du parapet sont maintenus à leur pied par des dés en bronze.

La tour se compose d’un rez-de-chaussée surmonté de cinq étages.

Le rez-de-chaussée et les quatre premiers étages sont mis en communication par un escalier en pierre, commençant au bout du couloir qui suit la porte d’entrée.

Droit d’abord, puis circulaire à noyau plein, cet escalier compte quatre-vingt quatorze marches, et sa cage est formée en partie aux dépens du vide cylindrique de la tour ; un mur de faible épaisseur l’isole des chambres. Du quatrième étage auquel il s’arrête, on accède à l’étage supérieur, et de là à la lanterne, au moyen d’escaliers métalliques en forme d’échelle de meunier, disposés de manière à occuper peu de place. Le rez-de-chaussée est divisé en trois compartiments : le vestibule et deux caveaux dallés, éclairés chacun par une lucarne de 0.50m sur 0.25m. Le caveau de gauche renferme une soute à charbon de 5000 kilogrammes de contenance, se chargeant par l’escalier, et une pompe aspirante et foulante pour l’alimentation d’eau. Celui de droite est le dépôt des huiles. Au premier étage est le magasin. Il peut recevoir, dans vingt-deux caisses en tôle, un approvisionnement de 5000 litres en eau douce ; on y trouve aussi deux soutes de charbon d’une contenance totale de 2000 kilogrammes, placées de chaque côté de la porte, dans les angles formés par la saillie de la cage d’escalier sur le cylindre intérieur de la tour. La chambre du deuxième étage sert de cuisine ; le fourneau y est placé dans une niche surmontée d’une coulisse de 0.30m de largeur sur 0.45m de profondeur, ménagée dans le mur du phare et se prolongeant jusqu’à la plate-forme supérieure. Dans cette coulisse se loge le tuyau en cuivre du fourneau. Les pans coupés que présente l’escalier ont servi à établir deux placards. Le troisième étage forme la chambre à coucher, contenant deux lits et deux placards analogues à ceux de la cuisine.

Au quatrième étage est la chambre de la trompette à vapeur, qui surmonte la chambre de service formant le cinquième étage. Le rez-de-chaussée et les deux premiers étages sont voûtés, ainsi que le cinquième ; la voûte du rez-de-chaussée est cylindrique, celle des autres étages est sphérique. Toutes sont en briques de Bristol sauf la voûte du cinquième, qui, traversée par la pénétration de l’escalier de service, est tout entière en granit.

Aux troisième et quatrième étages dans le but de gagner de l’espace, on a substitué aux voûtes une charpente formée de sept poutres en tôle entretoisées et servant de sommiers à de petites voûtes en briques.

La porte d’entrée du phare et les fenêtres extérieures sont exécutées en chêne enduit d’huile de lin cuite.

Les fenêtres intérieures, les parquets, les bâtis des lambris, les portes des chambres ou des armoires, les plinthes, les cimaises, sont en chêne ciré, les panneaux sont en sapin également ciré. Les lucarnes des caveaux et les deux premières fenêtres extérieures de l’escalier par des châssis en bronze garnis de verres à hublots, dans le genre de ceux que l’on emploie à bord des navires.

Tous le ouvrages de serrurerie sont confectionnés en bronze, la plupart sur modèles spéciaux.

Les trompettes auxquelles on a recours pour suppléer les phares dans les temps de brume, sont habituellement mises en action par de l’air qui a été comprimé dans un grand réservoir au moyen d’une machine à vapeur. Ici, où la place faisait défaut, on a adopté une nouvelle disposition due à M.Lissajoux.

L ‘appareil se compose :

1°De deux chaudières à vapeur verticales, accouplées (système Field), d’une force totale de quatre chevaux ;
2°D’une trompette avec appareil d’entraînement par jet de vapeur ;
3°D’un mécanisme de distribution, mû par la vapeur, destiné à ouvrir et à fermer périodiquement la communication des chaudières avec la trompette, de façon que le son se produise à raison d’un coup par cinq secondes ;

4°D’une horloge commandant la distribution de vapeur de ce mécanisme.

La trompette se fait entendre au dehors à travers un pavillon métallique logé dans une ouverture circulaire pratiquée à l’O.S.O., dans le mur de la tour. La fumée du combustible se dégage par un tuyau en cuivre qui va se greffer sur le tuyau du fourneau de la cuisine, dans la coulisse ménagée à cet effet. Les chaudières ont la pression nécessaire à la mise en marche, vingt minutes au plus, après l’allumage des feux.

Les chaudières sont alimentées à l’eau douce ; leur consommation avec le rythme adopté pour la trompette, est d’environ 25 litres par heure. L’eau est approvisionnée au moyen de la pompe aspirante et foulante placée dans le caveau ouest du phare, laquelle, puisant l'eau douce dans les bateaux accostés à la roche, la refoule dans les vingt-deux caisses en tôle, placées au premier étage, dont la capacité est de 1500 litres pour l’eau destinée aux gardiens et de 3750 litres pour l’eau destinée aux chaudières. Ces dernières peuvent ainsi être alimentées pendant cent cinquante heures de travail au moins, sans que l’approvisionnement soit renouvelé. L’eau des caisses est montée à la bâche d’alimentation, dans la chambre de la trompette, au moyen d’un appareil injecteur que l’on met en marche par l’ouverture d’un robinet de prise de vapeur placé sur la chaudière.

Les phares étant très multipliés sur la côte ouest du Finistère il a fallu distinguer le phare du Four des autres phares déjà existants. Voici les dispositions adoptées à cet égard.

L’appareil lumineux est de troisième ordre. A un feu fixe durant une demi minute, il fait succéder pendant le même temps, un feu à éclipses, dont les intervalles sont fixés à 3 secondes ¾. Il est illuminé par trois mèches concentriques, alimentées à l’huile minérale.

Les travaux du phare du Four ont été commencés en 1869. Les maçonneries étaient complètement terminées à la fin de 1872, les menuiseries et autres ouvrages de détail vers le milieu de 1873 : enfin le phare a été allumé le 15 mars 1874.

Les dépenses de la construction se sont élevées à 256000 francs, non compris la trompette à vapeur qui a coûté 31000 francs, et l’appareil optique, dont le prix est de 22000 francs. Le volume total des maçonneries de la tour étant de 920 mètres cubes, le prix de l’édifice ne revient pas à plus de 280 francs par mètre cube de maçonnerie.

Pendant toute la période active de la construction, et malgré les conditions périlleuses dans lesquelles cette construction s’exécutait, on n’a eu aucun accident mortel à déplorer. Depuis cette époque, et par un beau temps, le 20 avril 1873, une lame de fond fit chavirer une barque, dont trois ouvriers qui la montaient furent noyés. Le 2 novembre 1876, un gardien qui travaillait à plus de 4 mètres au-dessus du niveau de la mer, fut également enlevé par une lame de fond et entraîné par le courant.

Les vitres de la lanterne furent également brisées par un coup de mer, le 9 mars 1876.

Par un gros temps de N.O., le phare disparaît complètement dans l’écume et l’on peut dire que la mer est plus forte peut-être sur ce point que sur aucun autre du littoral breton ; mais, la grosse mer étant moins continue qu’à l’île de Sein, les difficultés de construction ont été moindres que celles que l’on a rencontrées au phare d’Ar-Men.

 

 

L’Illustration dans ses articles " Autour d’Ouessant " décrit la violence dont peut être l’objet le phare du Four en ces termes :

 

Extraits du journal l’Illustration numéro 2784 du 4 juillet 1896

" Le phare du Four, comme celui d’Ar-Men, est construit en pleine mer, à l’extrémité nord du passage du Four, sur un rocher à peine plus large que sa base. Les difficultés d’accostage y sont les mêmes qu’à Ar-Men.. Notre gravure de première page montre la manœuvre employée pour débarquer les objets nécessaires au ravitaillement.

 

Pour donner une idée de l’existence des gardiens de ses tours où ils vivent prisonniers loin du reste du monde, nous ne saurions mieux faire que de céder la parole à un ancien ministre des Travaux publics, M. Yves Guyot, auteur d’une étude à ce sujet, et bien mieux placé pour être renseigné .

Le phare du Four, à l’entrée du chenal de ce nom, haut de 28 mètres au-dessus des hautes mers, a eu sa lanterne emportée, le 9 mars 1876, par un coup si violent que les éclats de verre ont tailladés les armatures de cuivre de l’appareil. Pour le sauver, il fallut le courage des gardiens, qui parvinrent à remonter le vitrage malgré les masses d’eau qui les couvraient et l’effort du vent. Par gros temps du nord-ouest, il est complètement couvert par les lames. Le 29 avril 1873, un lame de fond enleva, par beau temps, une embarcation stationnant contre la roche, et les ouvriers qui la montaient furent noyés. Le 2 novembre 1876, le gardien Wimel, occupé sur la plate-forme extérieure à fixer contre la tour la corde de débarquement à plus de 4 mètres au-dessus du niveau de la mer, fut enlevé, par beau temps, dans les mêmes conditions, sous les yeux de ses camarades. Dans les premiers de décembre 1874, la mer a brisé la porte du phare et enlevé une grande partie du dallage en pierre de la plate-forme extérieure, coulée en ciment pur et cramponnée par des barres de fer "

 

Dans ces mêmes articles, le journal dresse un portrait d’un gardien du Four :

" Ce qui serait intéressant à étudier surtout, c’est l’état d’âme, la vie intime de ces braves qui sont des humbles et des résignés. Au Four, le gardien-chef, un Ouessantin grave, réfléchi, sobre de paroles, qui se délasse de son travail en apprenant, sur le tard, la grammaire française (il n’a guère parlé que breton toute sa vie), aperçoit un jour, sur la plage d’Argenton où sa maisonnette rit au soleil, un drap mortuaire tendu sur sa porte. Voyez vous l’émoi du pauvre homme, retenu à son poste par le devoir, privé même, par l’état de la mer, de toute correspondance avec cette terre, à 3 miles de son écueil, où peut être on va ensevelir sa femme ou l’un de ses enfants ? "
Portrait du gardien du Four parue dans l’Illustration numéro 2784 du 4 juillet 1896

A noter que durant la seconde guerre mondiale, les allemands ordonneront l'évacuation, et l'extinction, du phare du Four. Ainsi du 10 juillet 1942 à la fin du conflit, le Four restera noir dans la nuit des côtes de bretonnes.

Plus près de nous, le 9 décembre 1978, la vedette de relève, la Ouessantine connaîtra un des drames les plus importants en France depuis la seconde guère dans les Phares et Balises. Le bateau se retourna sous les assauts d'une lame de fond, et un marin, Martin Perreaux, et un gardien, Jean, Yves Kernoa, y laissèrent la vie.

Le phare a été automatisé en 1993 et télé-contrôlé depuis l'Ile Vierge

Fiche technique

Phareland, le site :

Construction : 1874
Hauteur de la tour 28 mètres
Niveau au dessus de la mer 31 mètres
Lentille de Fresnel
Portée : 18 miles
5 éclats blancs / 15 secondes