Dans son ouvrage " Traité des ports de mer" P Berthot aborde le problème de l'approche des côtes. Bien que datant des années 1875, les lignes qui suivent définissent parfaitement comment l'emplacement des phares est choisi. L'ensemble de l'article est extrait de ce livre.

 

Ainsi qu’on le sait, c’est près de terre qu’existent les plus grands dangers pour les navigateurs. Les courants rapides, le déferlement des vagues y sont généralement plus violents, toutes choses égales d’ailleurs, qu’en pleine mer. Si on joint à ces causes le relèvement du fond de la mer qui cache fréquemment des récifs ou des bas-fonds sur lesquels les navires peuvent talonner ou échouer, on comprendra la sollicitude que l’Administration doit apporter à tout ce qui a trait aux atterrages.

Prenons donc un navire au moment où, après avoir été rejeté hors de sa route, il a la terre en vue. Généralement il aura pu obtenir, par des observations astronomiques et chronométriques, une approximation à 1 degré près, soit environ 100 kilomètres de l’endroit où il se trouve. Le premier soin du capitaine sera donc de reconnaître la terre qu’il a en vue. Aidé de ses cartes et naviguant avec prudence, si elles indiquent que les parages offrent un danger quelconque, il cherche des repères ou amers. Ceux-ci sont ordinairement des points culminants, des caps, des îles, des constructions parmi lesquelles nous placerons au premier rang les phares de grand atterrage. Tous les amers sont relevés et décrits avec les plus grands soins dans tous les livres de pilotage.

Une fois la terre reconnue, ces mêmes amers servent au capitaine pour se diriger à coup sûr vers l’entrée de la rade ou de l’avant-port. Dans les passes difficiles ces amers sont choisis ou combinés de façon à jalonner et à éviter les écueils. Le navire peut donc ainsi pénétrer dans la rade où il trouve un abri et où il peut jeter l’ancre, si pour une raison quelconque (marée, vent contraire, absence de remorqueur, etc.) il ne peut y pénétrer de suite.

En examinant la figure ci-jointe, on voit que, parmi les amers qui y sont indiqués, un certain nombre ne sont visibles que de jour ; ils ne seraient donc pas suffisants pour qu’on puisse trouver sa route pendant la nuit ; par conséquent, dans le cas d’un port très fréquenté et pour éviter une croisière de nuit devant le phare que l’on aurait reconnu, il sera nécessaire d’installer des feux en remplacement des points seulement visibles de jour.

 

C’est seulement depuis 1825 qu’une commission spéciale a formulé les conditions générales de l’établissement des phares et substitué un système rationnel à celui autrefois en vigueur

Le système ancien consistait en effet à placer les phares à l’embouchure des rivières. Aujourd’hui leur établissement est réglé par les considérations suivantes (commission des phares, 20 mai 1825) :

" les différents phares ou feux disséminés sur toute l’étendue d’une côte doivent remplir divers objets dépendant de la position des vaisseaux, et principalement de la route qu’ils se proposent de tenir ; les navigateurs qui ont eu connaissance de terre avant la nuit et ne jugent pas à propos d’entrer pendant l’obscurité dans le port ou dans la rade qu’ils viennent chercher, s’en servent pour se maintenir dans une position qui leur permette de prendre, à la pointe du jour, une direction qui les conduise promptement au lieu de leur destination. Les vaisseaux qui suivent la côte, en se tenant à une distance de terre suffisante, pour se mettre à l’abri de tout danger, reconnaissent au moyen des phares, à tous les instants de la nuit le lieu où ils sont, et la route qu’ils ont à suivre pour éviter les écueils situés au large. Ces phares doivent être placés sur les caps les plus saillants et les pointes les plus avancées ; ils doivent aussi être les uns par rapport aux autres à des distances telles que, lorsque, dans des temps ordinaires, on commence à perdre de vue le phare dont on s’éloigne, il soit possible de voir celui dont on se rapproche. Les phares dont on vient de parler, destinés à donner des indications aux vaisseaux qui viennent du large ou à ceux qui longent la côte, doivent être vus de la plus grande portée possible. C’est ce qui leur a fait donner, dans le système général, la dénomination de phares de premier ordre. Il faut en conséquence, les tenir assez élevés, et leur donner le plus grand éclat que nous puissions produire dans l’état actuel de nos connaissances.

" Ces phares de premier ordre sont encore destinés à un autre usage qui n’est pas d’une moindre importance, puisque des indications qu’ils procurent dépend quelquefois le salut des vaisseaux : en effet, dans le cas où la force de vent les pousserait sur la côte, ou bien dans celui où, pour échapper à des forces supérieures, ils seraient obligés de venir chercher un port et d’y rentrer pendant la nuit, ce sont les feux qui leur font reconnaître d’abord le point où ils se trouvent et leur donnent ensuite la première indication sur la route qu’ils doivent suivre pour entrer avec sécurité dans la rade même, dans le port où ils veulent aller. On sent, d’après ce qui vient d’être dit, de quelle importance il est que des vaisseaux, avertis seulement des approches de la côte par l’un des phares disséminés sur toute son étendue, ne puissent jamais être exposer à se tromper, où à prendre le feu qu’ils aperçoivent pour l’un des feux voisins. C’est ce qui a mis dans la nécessité de diversifier, autant que la nature des choses a pu le permettre, les apparences présentées par les phares. Jusqu’à présent le nombre de ces apparences est très limité ; heureusement que l’erreur, dont la position d’un vaisseau venant du large peut être affectée, a également des limites, et qu’il a suffi de répartir les phares sur toute la côte, de manière que, dans l’étendue fixée par la plus grande erreur dont la position d’un vaisseau soit susceptible, il ne se trouve jamais deux phare offrant exactement la même apparence. C’est une règle dont on ne s’est écarté, dans le système général approuvé par la Commission, que dans le cas où deux feux semblables, placés l’un auprès de l’autre, acquièrent ainsi un caractère particulier qui ne laisse plus craindre les méprises. On a dit précédemment que les phares de premier ordre, après avoir fait connaître le point où l’on se trouve, donnaient, ensuite, aux vaisseaux qui se rapprochent de la côte, les premières notions de la route à suivre pour se rendre au lieu de destination, c’est à dire pour entrer dans les passes plus ou moins étroites qui y conduisent, ou bien pour éviter les écueils qui se trouvent sur leur route. Des feux d’une moindre intensité que les premiers sont placés sur des îles, sur des écueils situés entre les grands phares et la côte, ou sur d’autres parties de la côte elle-même, de manière à indiquer la route qu’il faut tenir pour pénétrer dans ces passes ou éviter les écueils en allant successivement prendre connaissance de chacun d’eux.

" Leur portée est déterminée pour la distance à laquelle on doit commencer à se diriger d’après chacun de ces feux ; elle doit, en général, être beaucoup moindre que celle des feux de premier ordre ; cependant comme, dans certaines circonstances, il a été indispensable de lui donner une assez grande étendue, on s’est trouvé dans l’obligation d’établir deux ordres différents dans ces phares ou feux secondaires. Les phares du second ordre sont ceux qui ont la plus grande portée, et les phares de troisième ordre, ceux qui se voient de moins loin.

" Enfin, la Commission, désirant satisfaire à tous les besoins de la navigation, a décidé que les lumières seraient entretenues, pendant la nuit, à l’entrée des ports, pour guider les bâtiments près des jetées qui en forment l’entrée et servent d’abri, ou dans les passes étroites où ils sont obligés de s’engager. Ces derniers feux beaucoup moins brillants que les premiers, et par conséquent moins dispendieux, sont compris sous la dénomination de feux de port, et n’ont d’autres usages que d’indiquer l’entrée de ces ports aux bateaux pêcheurs et même aux bâtiments d’un plus grand tirant d’eau, toutes les fois où les localités le permettent. La majeure partie des petits ports situés sur les côtes de l’Océan, où les marées sont très grandes, ne peuvent recevoir les navires qu’à certaines époques de la marée, c’est-à-dire que l’on ne peut pas y rentrer pendant le flot, avant que la mer ne soit parvenue à une certaine hauteur, et qu’il ne reste plus assez d’eau dans les passent après une certaine heure du jusant.

" Les feux de ports servent à donner ces indications très essentielles ; il ne sont allumés, dans plusieurs lieux, que pendant le temps où il reste assez d’eau entre les jetées. La Commission a décidé que les feux de cette espèce qui ne peuvent être confondus avec aucun des phares de l’un des trois ordres adoptés, seraient allumés à l’entrée de tous les ports, même les plus petits, mais elle devra choisir ensuite le mode d’indication le plus sûr pour faire connaître les instants de la marée où il y a assez d’eau dans les passes, et ceux où il est impossible de s’y engager ".

Un décret, en date du 15 septembre 1792,a confié au ministère de la marine la surveillance des phares, amers, bouées et balises, et au ministère de l’intérieur l’exécution de ces ouvrages. Un autre décret du 7 mars 1806 a imputé sur le budget des Ponts et Chaussées toutes les dépenses du matériel et du personnel relatives aux phares, et depuis cette époque, les service est confié aux ingénieurs des Ponts et Chaussées, sous la direction de la Commission des phares.

A la tête du service central des phares est un inspecteur général, assisté d’un ingénieur en chef ; dans les départements, le service est confié aux ingénieurs en chef et aux ingénieurs ordinaires du service maritime.

Sur une médaille commémorative que l’on voyait à l’exposition de 1878, on pouvait lire l’inscription suivante qui indiquait les progrès réalisés à cette époque :

" 1791, PHARES A RÉFLECTEUR ¨PARABOLIQUE, TEULERE ET BORDA

1823, PHARES LENTICULAIRES, AUGUSTIN FRESNEL

1864, ÉCLAIRAGE ÉLECTRIQUE DES PHARES DE LA HÈVE

1875, ÉCLAIRAGE DES PHARES A L’HUILE MINÉRALE

1878, LES COTES DE FRANCE SONT SIGNALÉES PAR 372 PHARES, 760 BOUÉES ET 1450 BALISES "

En vertu de ces principes généraux, on a tracé un polygone enveloppant tous les points saillants des côtes de France, et on a donné de 18 à 27 milles de portée aux phares de 1ère classe ou de grand atterrage qu’on y a installés ; on les a placés à des distances telles que, quand on cesse d'en apercevoir un, on aperçoit l’autre.

On a également admis, comme erreur de point du navire, une différence de 80 miles ; par conséquent, on ne doit pas placer deux feux de premier ordre semblables à une distance moindre.

Anciennement on diversifiait ces feux par des feux fixes, des feux à éclipses de demi minute en demi minute, des feux à éclipses de minute en minute, et par deux feux jumeaux, solution, très coûteuse.

On a appliqué ensuite aux phares de premier ordre des feux fixes variés par des éclats périodiques ; puis en diminuant la période, on a obtenu des feux scintillants et des feux clignotants.

Enfin, après grand nombre d’essais et d’études, on a utilisé les feux colorés en rouge, même pour les phares de 1er ordre, et on a ajouté définitivement aux distinctions précédentes les trois suivantes :

Feux fixes blancs variés, par éclats rouges ;

Feux à éclipses, avec éclats alternativement rouges et blancs ;

Feux à éclipses, avec deux éclats blancs succédant à un éclat rouge.

En tout, dix manières de distinguer les phares les uns des autres.

Ces caractéristiques sont également employés pour les phares de deuxième, troisième et quatrième ordres ; on y a ajouté le feu fixe rouge, le feu rouge à éclipse, le feu alternativement blanc et rouge, les feux alternativement blancs et rouges avec éclipses, les feux alternativement blancs, rouges, verts.

Les feux de port sont généralement fixes, et se reconnaissent à leur position.