Rencontre avec Bruno Le Floc'h à l'occasion de son livre "Trois éclats blancs"

Auteur d'un deuxième album de bandes dessinées, Bruno le Floc'h à très gentiment accepté de répondre à mes questions en décembre 2004.
Rencontre ...

Alain : Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ....
Bruno le Floc'h :
Quarante sept ans, marié, deux garçons. Après mes études aux Arts Déco de Paris je suis rentré, ventre à terre, vers mon Pays Bigouden natal où je vis et travaille depuis. Storyboarder de dessins animés, j'ai travaillé sur une multitude de séries télévisées françaises (vingt ans de boulot!) et bourlingué dans des studios d'animation à Londres, Dublin, Varsovie et Tunis   
Dernièrement, j'ai créé les personnages et ai dessiné le storyboard du dernier film d'animation de Jean François Laguionie : "L'île de Blackmòr".   

Alain : Votre deuxième livre, "Trois éclats blancs", a pour sujet la construction d'un phare. Pourquoi un tel sujet, très original .. Qu'évoque pour vous un phare ?
Bruno le Floc'h :
J'ai passé mon enfance,  dans le petit port de Loctudy ; les pieds dans l'eau de mer, la tête dans les embruns. Tout ce qui est lié à la mer me touche profondément. J'ai un respect sans borne pour les gens qui y vivent et y travaillent (j'ai moi-même fait l'expérience de deux marées hauturières dans le Sud Irlande sur un chalutier en bois de 18 mètres deux quinzaines à partager la vie des marins pêcheurs vers la fin des années soixante dix). La lecture d'un article du "Chasse marée" à propos de la construction du phare d'Ar men m'a totalement subjugué. Je me suis pris à imaginer la vie des ingénieurs dépêchés sur l'île de Sein pendant de si longs mois, confrontés aux éléments, à "l'exotisme" de la population locale. Le phare était construit pour les navires qui croisaient au large et était mal perçu par les marins qui connaissaient, des lieux de pêche et de l'entrée des havres, le moindre caillou.
Toujours évocateur de danger et hélas, de drames. Toujours présent, immense et solide, rassurant et vital. Beau.


Alain : Votre histoire est très justement documentée, notamment la phase de construction du phare. Comment avez-vous préparé cette histoire ? Avec quels documents ou informations ?
Bruno le Floc'h :
Je me suis plongé dans "Ar Vag" pour la documentation sur les chaloupes et les articles du "Chasse marée" ont été les premiers à m'aiguiser la curiosité sur l'histoire de la construction des phares. Ensuite, j'ai beaucoup parcouru de livres en bibliothèque et consulté quelques sites.

Alain : Combien de temps prend la conception d'une bande dessinée comme "Trois éclats blancs" ?
Bruno le Floc'h :
Le temps de la maturation de l'histoire elle-même est assez indéfinissable de longs mois de rêveries éveillées, de souvenirs qui remontent lentement à la surface et de lectures.
Puis viennent les étapes successives de la réalisation ça, c'est plus facile à estimer.
- L'écriture du scénario, moment magique, est assez court il faut dire qu'à ce stade, l'histoire est déjà toute composée ; les personnages et les lieux ont leur vie propre. Il ne "suffit" plus que de les entendre parler et de les regarder.
- Le découpage de l'histoire qui consiste à définir le contenu des vignettes, à les agencer dans les pages, à lier les pages entre elles pour créer le rhytme narratif de l'histoire avec ses pleins et ses déliés, travail très proche de celui de storyboarder.
- Enfin le dessin et la mise en couleur. Des semaines sans poses, le nez sur le papier.
Du scénario au lettrage? je dirais une petite année!


Alain : Votre ouvrage a reçu récemment le prix René Goscinny. Vous attendiez-vous a une telle récompense ?
Bruno le Floc'h :
Je suis d'une inculture "crasse" en matière de Bande Dessinée j'ignorais l'existence de ce Prix. Je vous laisse imaginer ma surprise totale et suffoquante à l'écoute de l'annonce de la nouvelle par Anne Goscinny sur ma messagerie de portable! C'est un plaisir inouï.  

Alain : Dans votre premier ouvrage, le phare de Penmarc'h est représenté, mais jamais nommé. Dans votre second ouvrage, les lieux cités pour la construction de phare ne correspondent pas à des endroits réellement équipés (enfin je pense !) Est-ce volontaire ou une erreur de ma part ?
Bruno le Floc'h :
Volontaire. "Trois éclats blancs", même s'il est inspiré par la réalité passée, n'est pas un livre Historique. Je voulais que l'histoire se passe dans le Pays Bigouden, pour rendre hommage à ces gens et à cette culture qui me sont familiers, mais il se trouve qu'il n'y a pas de phare en mer au large de ces côtes! J'ai donc tout ré-inventé ; phare, port, gare, église etc
Au-delà de ça, il s'agit d'une fiction, il me semble qu'à coller de trop près à une aventure vécue je me serais enfermé dans les rets de la fidélité à l'Histoire et me serais rendu moins libre.

Alain : Votre premier ouvrage commence par une vue du phare de Penmarc'h. Cet endroit évoque-t-il pour vous des souvenirs particuliers ?
Bruno le Floc'h : L'imposante colonne sombre d'Eckmühl et son éclat haut perché dans la nuit ont impressionné mon imagination d'enfant. Symboliquement, avec le phare des Perdrix (Ah! vous aviez remarqué?!!) : célébrissime phare à damier noir et blanc de l'entrée du port de Loctudy, Eckmühl est  Bigouden.

Alain : Votre premier album est monochrome, le second en couleur. Pourquoi ces choix ?
Bruno le Floc'h : "Au bord du monde" est un prologue. Il fallait que sache si je savais raconter mes histoires en images. De plus, le travail de storyboard se faisant essentiellement en noir et blanc, j'avais fini par perdre tout contact avec la couleur. La collection Encrages de Delcourt, plus modeste que les autres, a été une formidable chance pour réaliser ce premier album à la mesure de mes ambitions et, surtout, de mes doutes. Pour Trois éclats blancs, il allait de soi, pour moi, qu'il soit en couleurs. Je reviendrai sans doute un jour au noir et blanc.    

Alain : Si vous deviez décrire "Trois éclats blancs", ou donner envie de le lire, que diriez-vous ? Comment décririez-vous votre histoire ?
Bruno le Floc'h :
Pfff! Je dirais que : " Nous sommes sur le quai d'un petit port de pêcheur au bord de l'Océan, au tout début du XX ème siècle lorsque les bateaux allaient à voile, que les femmes portaient coiffes et somptueux costumes brodés et que des types intrépides construisaient des phares sur des cailloux dans les endroits les plus dangereux.  Un beau jour, un tout jeune ingénieur tout faraud de ses diplômes et confit d'a priori y pose ses valises. Il y restera plusieurs années, le temps de la construction d'un phare au large et d'apprendre la vie avec ce qui lui faut pour être digne d'être vécue : du courage, du respect pour l'autre : l'Inconnu, de l'amour, de l'amitié"

Alain : Quels sont vos dessinateurs préférés ?
Bruno le Floc'h : Tardi, Pratt, Rabaté, Munoz, Baudoin, Barbier rien que de très classique et des auteurs qui font des albums à lire comme des romans.


Alain : Les phares sont à la mode de nos jours. Comment expliquez-vous cet élan ?
Bruno le Floc'h :
Je crois y voir une nostalgie toute citadine. Je ne parle pas seulement des habitants des grandes cités, même la plupart des provinciaux vivent sur un mode de vie bien éloigné de la réalité brute de ceux qui se coltinent la glaise des champs ou les houles océanes. La solitude et l'isolement du phare, tout comme ceux des îles ou du désert, exercent un attrait Romantique sur nous, qui sommes ; "Zébulons" furieux, sans cesse submergés de bruits, gavés d'informations et soumis à des relations sociales plus ou moins obligées. Manquerions-nous de paix, de temps pour soi, voir d'ennui?

Alain : Quels sont vos rapports avec Internet ?
Bruno le Floc'h :
Excellents ! Voilà un outil inépuisable, simple et accessible pour assouvir toutes ses curiosités.

Alain : Avez-vous des sites favoris ?
Bruno le Floc'h :
Ma curiosité est multiple, les sites tout aussi divers pour la satisfaire. En ce moment je reviens chaque jour sur le site du Vendée Globe à l'heure de la vacation des marins de l'autre côté de la Terre.

Alain : Si vous deviez conseiller à nos lecteurs trois livres
Bruno le Floc'h :
Le premier saisi, au hasard, dans l'oeuvre de Conrad. Les recueils de nouvelles de Jørn Riel et Tierra del fuego de Francisco Coloane.

Alain :  et trois films
Bruno le Floc'h :
Blade Runner, Thelma et Louise et, pour rire à perdre haleine; Les Tontons Flingueurs.

Alain :  trois disques
Bruno le Floc'h :
Suites pour violoncelle seul de Bach par Tortellier (rigoureux) ou Casals (inventif), le Sacre du Printemps de Stravinsky et n'importe quel disque de Tom Waits.

Alain : Quels sont vos projets à venir ?
Bruno le Floc'h :
Alterner Cinéma d'animation et BD. Travailler avec des équipes comme celle de "La Fabrique" et puis, me retrouver seul avec mes pages une fois les histoires mûries. Storyboard en cours : "Petit Wang", un épisode la série des Cadeaux Prochain album: une suite à "Trois éclats blancs" Loin de la mer et des phares.    


Plus d'informations sur le site des éditions Delcourt  : L'auteur , résumé de "Trois éclats blancs" et extraits de l'ouvrage :
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