INTERVIEW AU PHARE OUEST

 

 

Article signé Jean LERFUS paru dans le magazine Coeurs Vaillants numéro 30 - parution jeudi 25 juillet 1963

A quelques kilomètres de Dieppe, au milieu des pins et des genets, rien n'est là pour me rappeler que je suis seulement à quelques centaines de mètres de la mer. Au débouché d'un petit chemin, faisant obstacle à ma vue sur la falaise et la mer, apparaît une tour carrée d'une vingtaine de mètres : le phare d'Ailly.
   Le  terrain sur lequel est bâti le phare est grillagé, me voici devant le portail grand ouvert. Ma vue est attirée par une petite pancarte :"Le gardien est dans l'escalier".Je vais donc à sa rencontre.

Un marin sur la terre ferme.

   Passé la porte d' entrée, me voici, seul, face à l'escalier. Et croyez moi, un escalier de phare a quelques chose de très impressionnant. Inutile de chercher l'ascenseur, il faut bel et bien monter à pied.

   Alors que je croyais être au bout de mes peines, je m'aperçois qu'il me faut encore gravir quelques marches qui ressemblent à une passerelle de bateau. Me voici enfin dans une salle, occupée en son centre par toute une machinerie. Je cherche le gardien. Ne le trouvant pas, je passe sur la terrasse. Là, un homme est en train de peindre consciencieusement des chaises de jardin...

    - Pardon, monsieur, le gardien du phare s'il vous plaît?

    - C'est moi. Vous venez pour visiter?

    - Oui,  mais je ne voudrais pas la visite classique. C'est pour "Coeurs Vaillants".

    Le gardien me fait entrer dans la salle où est installé le mécanisme. L'homme avec qui je suis est un vrai Normand, tout heureux de pouvoir s'entretenir avec moi de son métier.

 

Le phare, version touristes.

    - Le phare d'Ailly me paraît récent. Quand a-t-il été construit?

    - Celui-ci a été mis en service en 1956. Vous avez remarqué que nous sommes sur une pointe de falaise qui s'avance dans la mer. C'est un emplacement idéal pour un phare. Le premier phare d'Ailly a été construit ici sous Louis XV. Ce sont d'ailleurs les ruines de ce dernier qui ont été utilisées en attendant la construction de l'actuel. Le phare en fonctionnement durant la guerre ayant été complètement détruit.

    - J'ai appris que les phares servaient à signaler un danger aux navigateurs. Est-ce vrai?

    - Pas uniquement Les phares peuvent signaler des récifs, c'est vrai. Pour nous, qui sommes sur la côte, nous nous contentons de signaler les divers ports. A la hauteur où nous sommes ici, nous nous trouvons à 110 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cela permet la perception de nos faisceaux  lumineux jusqu'à 80 kilomètres de la côte. Lorsqu'il y a du brouillard, nous utilisons une sirène dont le son est perçu à 15 kilomètres en mer.

    - Vous devez certainement avoir une installation à la fois méticuleuse et importante pour pouvoir éclairer si loin.

    - Voyez vous-même la grosse lampe que nous utilisons, elle fait 5 kilowatts. Lorsque la lumière fournie par la lampe est passée à travers toutes les lentilles, cela équivaut à la lumière de cinq millions de bougies. De plus, nous avons des lentilles qui réfléchissent la lumière vers le ciel. Cela pour signaler la côte aux avions.

       Le mécanisme du phare comme celui de tous les autres baigne dans du mercure et il est entraîné par un mouvement d'horlogerie. Vous vous doutez que nous ne pouvons jamais arrêter le fonctionnement du phare. En cas de pannes d'électricité, nous utilisons des groupes électrogènes.

 

Le phare, version travail.

     -  Dans le fond, votre travail n'est pas très pénible. Vous n'avez qu'à allumer le soir et éteindre le matin?

    - Détrompez-vous. Tel que vous me voyez je travaille vingt-quatre heures d'affilée. Aujourd'hui, je suis là toute la journée à accueillir les visiteurs et faire un peu d'entretien. Mais mon véritable travail débute lorsque la nuit tombe. Le phare d'Ailly est un radio-phare. Toute la nuit nous répondons aux appels des bateaux. Nous guidons l'entrée de tous les ports de la région et en particulier de celui de Dieppe. Dieppe qui est le premier port bananier de France. Et puis il y a les pêcheurs, qui nous demandent souvent de leur faire le point de la météo.

   Durant la nuit, il n'y a personne dans le phare. Nous sommes installés dans les baraquements où sont les appareils.

     Le phare d'Ailly est le plus important de la côte entre le Havre et Grigny. Le plus important par sa puissance et par le trafic qu'il arrive à contrôler.

    - Il existe aussi des phares perdus sur un rocher au milieu de la mer. Quelle comparaison peut-on faire avec votre vie ici ?

    - Absolument aucune. C'est très dur de passer huit jours sur un rocher. Moi, j'ai une vie normale. J'habite un petit pavillon, tout à côté, ave la famille. Le village n'est qu'à quelques kilomètres. Notre vie ne diffère que très peu de celle des agriculteurs de la région. Ceux qui ont la vie la plus dure, ce sont les marins et les pêcheurs. Vous parliez des phares en pleine mer, il faut dire à vos lecteurs que beaucoup ont disparu. Le radar permet maintenant de guider et de prévenir les bateaux.

 

   La nuit est tombée. Je regagne Dieppe en longeant la côte. Le lent tournoiement des trois faisceaux lumineux d'Ailly est commencé. Sur la mer, au large, j'aperçois les lumières d'un cargo qui s'apprête à entrer au port. A Dieppe, les chalutiers vont partir pour la pêche.

   A Ailly, on veille.

                                                                                                            Jean LERFUS

    

Article paru dans le magazine Coeurs Vaillants numéro 30 - parution jeudi 25 juillet 1963