Le phare des Grands-Cardinaux

Extrait du traité des ports de mer par P Berthot - Georges Fanchon éditeur

 

Le phare des Grands-Cardinaux est destiné à signaler l'extrémité sud des dangers qui s'étendent de la presqu'île de Quiberon aux Iles de Houat et d'Hoedic jusqu'à l'archipel des Cardinaux. Il est établi sur une roche de cet archipel désigné sous le nom de Grougue-Guès. Il se compose d'une tour en maçonnerie comprenant un rez-de-chaussée pour l'emmagasinement des huiles, et quatre étages destinés au logement des deux gardiens, ainsi qu'au service du feu. Ce feu est fixe, et l'altitude de son plan focal s'élève à 27 mètres au dessus du niveau des plus hautes mers.

Les dispositions de l'édifice ne diffèrent pas sensiblement de celles qui sont ordinairement adoptées aujourd'hui en France pour les phares isolés en mer, et le seul intérêt que représente celui des Grands-Cardinaux réside dans les moyens nouveaux qui ont été mis en oeuvre pour sa construction.

La roche de Grougue-Guès est formée de granit à grains fins très résistants : sa surface, fort irrégulière, n'émerge que sur quelques points au-dessus du niveau des hautes mers. Elle est directement exposée à la grande houle de l'Océan, qui l'enveloppe et la recouvre entièrement dans son déferlement. L'accostage n'est praticable qu'en beau temps ou par les vents de l'est, assez rares dans ces parages.

Grougue-Guès se trouve à près de 4 kilomètres de l'Ile d'Houedic, qui ne pouvait fournir que les moellons, le sable et l'eau douce nécessaires aux travaux. Tous les autres approvisionnements, ainsi que les ouvriers et les vivres, devaient être expédiés du port du Palais (Belle-Ile), distant de plus de treize milles marins. Dans ces conditions, les moyens de construction, ordinairement en usage, auraient nécessité l'emploi d'un bateau à vapeur, et d'un matériel naval important pour le transport, ainsi que l'installation d'engins  etd 'ouvrages d'abris coûteux pour l'accostage et le débarquement. Ils auraient, en outre, occasionné de grandes pertes de temps avec de longs chômages et exigé, par suite, des dépenses qui ont paru excessives. Pour les éviter, on a procédé de la manière suivante :

En premier lieu, on s'est décidé à exécuter la maçonnerie avec moellons ordinaires et mortiers de ciment de Portland et à n'admettre la pierre de taille de petit appareil que dans les parties où elle était indispensable. Ce système de construction, éprouvé déjà par l'expérience des tours-balises, a grandement facilité les travaux en les simplifiant et en réduisant surtout les systèmes de débarquement des matériaux.

Après l'achèvement du phare, on a enduit sa surface intérieure et extérieure avec du mortier de ciment de Portland, qui a donné des résultats satisfaisants tant au point de vue de l'étanchéité que sous le rapport de l'aspect architectural.

On a commencé les travaux dans une campagne préparatoire faite en 1877, sur des crédits restreints. En procédant sans installation spéciale et comme pour une tour-balise, on parvint à élever la tour du phare jusqu'à 6 mètres au-dessus des hautes mers. On fit tous les préparatifs pour l'année suivante, et on s'efforça d'acquérir l'expérience voulue en vue d'entreprendre, sans tâtonnements ni mécomptes, la campagne effective.

Cette campagne, en raison des circonstances atmosphériques, ne put commencer qu'en mai 1878.

Dès son début, on installa un échafaudage en charpente dans l'intérieur de la tour déjà construite, laquelle atteignait une hauteur assez grande pour fournir une protection efficace contre le choc direct des lames et des paquets de mer. Cet échafaudage qui dépassait l'altitude finale du phare était disposé de manière à subsister jusqu'à l'achèvement de la maçonnerie sans en paralyser l'exécution. Il se composait de quatre montants verticaux de 0,20 m d'équarrissage formant les arêtes d'un parallèlépipède à base carrée de 3 mètres de côté, inscrit dans le cylindre intérieur de la tour ; les montants étaient reliés par des moises horizontales, espacées verticalement de 2,25 m et portant des planchers entre lesquels on avait une série de neuf étages pour le dépôt des approvisionnements, la confection des mortiers et le logement des ouvriers. Une clôture en planches et en carton bitumé enveloppait l'échafaudage, et constituait à chaque étage une chambre convenablement abritée contre le vent et les embruns. Une échelle verticale mettait en communication toutes les chambres.

L'échafaudage atteignait une hauteur de 25 mètres, il était indispensable de le consolider pour lui donner toute la résistance nécessaire à la flexion et au renversement. Ce résultat a été obtenu, d'une part, en maintenant son extrémité supérieure au moyen d'étais fixés dans la roche, d'autre part, en reliant chaque cours de moises aux voisines par des contrefiches serrées à l'aide d'un coin, de manière à former une poutre américaine avec chacune des faces de l'échafaudage. Cette installation a permis de maintenir sur la roche, pendant toute la durée de la campagne, les ouvriers et les manoeuvres, au nombre de dix-huit en moyenne, qui étaient employés à l'exécution des maçonneries. Ces hommes couchaient dans des hamacs et étaient nourris par l'Etat.

On a pu ainsi maintenir sur la roche les approvisionnements nécessaires et exécuter, par suite, les travaux presque sans interruption, quel que fût l'état de la mer ou de la marée.

Les dispositions prises ont eu un autre avantage important : celui de rendre facile, à peu près en tout temps, l'embarquement ou le débarquement de matériaux et même, au besoin, celui des hommes. On a, en effet, mouillé des bouées à une distance suffisante de la roche pour n'avoir rien à craindre des lames et du ressac.

Les embarcations portant les approvisionnements venaient s'amarrer sur les bouées, où elles saisissaient le croc d'une itague dont le filin, après avoir passé sur une poulie portée par l'échafaudage, était actionné par un treuil fixé sur la roche. Grâce à la grande hauteur de cet échafaudage on pouvait hisser directement les matériaux et les débarquer à un étage quelconque à l'aide d'une amarre de retenue.

Celle-ci était manoeuvrée par un homme spécial, posté soit sur un roche voisine quand le temps le permettait, soit sur un petit canot bossé sur une bouée convenablement placée.

On s'est assuré, par expérience, que les hommes munis de ceintures de sauvetage pouvaient être transbordés comme les  matériaux, et qu'en cas de péril grave il était possible de porter secours au personnel logé dans l'échafaudage. Aussi son moral n'a-t-il jamais laissé rien à désirer, quoique l'on ait eu à essuyer plusieurs coups de vent très violents.

L'installation d'un chantier, en permettant d'opérer les débarquements sans accoster la roche, à l'abri du ressac et du déferlement des lames, a donné le moyen d'approvisionner les matériaux avec une continuité assez régulière pour éviter tout chômage. On a pu, dès lors, organiser très économiquement le service des transports.

Il a suffi de trois chaloupes non pontées de 8 mètres de longueur, montées chacune par trois hommes et munies d'une misaine et d'un taille-vent. Deux petits canaux servaient à transborder sur ces chaloupes les matériaux qui étaient déposés aux abords de l'une des plages de l'Ile d'Hoedic. Un autre petit canot insubmersible, amarré en permanence sur une bouée près de la roche, complétait le matériel flottant, dont la valeur totale ne dépassait pas 5000 francs.

Quant au personnel affecté aux transports et à l'extraction des  matériaux, il se composait de vingt-deux marins, ouvriers et manoeuvres. Il était nourri par l'Etat et logé à Houedic dans l'ancien port.

La campagne de 1878 a pu être prolongée jusqu'en décembre, malgré les mauvais temps de l'équinoxe, et dépasser de beaucoup la période de temps que l'on consacre d'ordinaire aux travaux de la mer. Pendant sa durée (sept mois) on a terminé à très peu près les maçonneries de la tour, sans aucun accident, pour les personnes ; l'édifice et ses abords ont été ensuite facilement achevés dans la campagne suivante. On est arrivé à réaliser des économies importantes, car les dépenses, n'ont atteint que la somme de 147 798 francs, c'est-à-dire moins de la moitié du chiffre exigé par les autres constructions faites dans des conditions analogues.

 

Article extrait du traité des ports de mer par P Berthot - Georges Fanchon éditeur

 

En savoir plus ....

Le phare des Grands-Cardinaux, d'une taille de 27 mètres, a été allumé le 1er janvier 1880. Fait rare, il est le seul à être conçu sous cette forme en France. Il a été électrifié et automatisé en 1973. Il a la réputation d'être un des plus difficile à gardienné, et reste un des phares ayant enregistré le plus grand nombre de démissions.