LES RÉFLECTEURS MÉTALLIQUES
ENGAGENT LA LUTTE, DANS LES PHARES,
AVEC LES OPTIQUES DE FRESNEL

Par Jean GAËL

Article paru dans "la science et la vie" numéro 89 - Novembre 1924

Il n'est aucun amateur des villégiatures maritimes qui n'ait eu la curiosité de faire l'ascension d'un phare afin de voir de près l'origine de ces puissants faisceaux lumineux qui balaient la mer, le soir venu. On y trouve toujours un appareil fort élégant, souvent majestueux, qui représente encore aujourd'hui la plus belle des découvertes dont la science peut s'enorgueillir. C'est un ou plusieurs panneaux lenticulaires, imaginés par l'illustre physicien Fresnel, il y a un siècle. Chaque panneau comporte une lentille centrale entourée d'anneaux dioptriques et d'anneaux catadioptriques à réflexion totale.
Ces appareils ont peu changé au point de vue optique depuis Fresnel. Toutes les pièces de verre sont, travaillées isolément et assemblées par une solide armature métallique. Leur puissance s'est développée par l'emploi de sources de lumière de plus en plus intenses. Après les lampes à huile de colza, apparurent celles à huile minérale, puis, plus récemment, les lampes à manchons incandescents chauffés par des brûleurs à vapeur de pétrole, quelquefois des lampes à arc électrique et, enfin, tout récemment, de grosses lampes électriques à incandescence, qui menacent de détrôner définitivement l'arc.
Avant Fresnel, les phares utilisaient des réflecteurs métalliques, que l'industrie de l'époque ne parvenait certainement pas à construire avec la précision que peuvent donner les machines modernes. De fait, les appareils de Fresnel étaient très supérieurs aux réflecteurs qu'il pouvait leur comparer. Ses successeurs en avaient conclu que les appareils lenticulaires étaient incontestablement plus puissants que tous les réflecteurs, quels qu'ils fussent.
Cependant, il y a quelques années, M. Jean Rey, administrateur des anciens Etablissements Sautter et Harlé, constatant les bons résultats obtenus dans les projecteurs par les miroirs métalliques qu'il venait de mettre au point, eut l'idée de construire un phare ayant comme optique un simple réflecteur métallique analogue à ceux que l'on utilise dans les projecteurs.
Depuis cette époque, plusieurs appareils ont été établis exactement dans les mêmes conditions et les résultats se sont montrés de plus en plus satisfaisants.
Il n'y a pas là, comme on pourrait le croire, un démenti donné aux expériences de Fresnel. Ces expériences ont comparé une optique dioptrique à très grande distance focale à un réflecteur métallique à très courte distance focale. Fresnel et les constructeurs de miroirs métalliques de son époque estimaient que les miroirs à très courte distance focale étaient indiscutablement supérieurs à ceux à longue distance focale. Dans leur esprit, ils avaient donc comparé ce que l'on pouvait faire de mieux comme réflecteur à une lentille tout à fait imparfaite.
Une étude plus approfondie, telle qu'on peut la faire à l'heure actuelle en s'appuyant sur sur les travaux de M. A. Blondel, membre de l'Académie des Sciences, montre qu'un réflecteur à très courte distance focale éclairé par une lampe semblable à celles que l'on employait dans les expériences de Fresnel, donne un faisceau très divergent qui a paru sans intérêt et une intensité photométrique sur l'axe (plan focal) très inférieure à l'intensité photométrique que donnerait un miroir de même dimension et de distance focale voisine du miroir.


FIG. 1. - FEU ÉCLAIR A ÉCLATS ÉQUIDISTANTS
RÉALISÉ PAR UN RÉFLECTEUR MÉTALLIQUE DE
0M.75 DE DIAMETRE

Éclairage électrique par incandescence. Rotation par moteur électrique. La lanterne a un diamètre de 1m60.

Dans un réflecteur de très court foyer,en effet, une bonne partie de la surface est absolument inactive par suite des ombres portées pae le bec de la lampe et des perforations ménagées dans le miroir pour livrer passage aux conduits d'alimentation du brûleur et de la cheminée d'évacuation des gaz brulés. Une partie plus importante encore du réflecteur réflecteur est également très mal utilisée : si un observateur placé sur l'axe et à une grande distance pouvait regarder le réflecteur avec un énorme grossissement, il verrait qu'une partie du miroir ne reçoit aucune lumière parce que le centre de la flamme est absolument noir. Au contraire, avec un réflecteur à grande distance focale, on peut placer la source lumineuse de façon que le foyer soit dans la partie la plus blanche de la flamme ; le miroir paraît alors brillant dans toute son étendue pour le même observateur placé dans les mêmes conditions que précédemment.
La comparaison directe entre un appareil lenticulaire et un appareil à réflecteur n'a pas été faite à nouveau, mais les résultats photométriques très nombreux permettent de connaître l'intensité lumineuse obtenue, avec une même source, par la lentille et par le réflecteur. Il en résulte qu'un réflecteur ayant même puissance photométrique qu'une lentille est beaucoup moins encombrant.
Un autre avantage du réflecteur métallique réside dans ce fait que les machines modernes peuvent le tailler avec précision en une seule pièce, tandis que l'appareil lenticulaire, en raison du grand nombre de pièces qui le constituent, ne possède plus, après assemblage, qu'une précision bien inférieure à celle que l'on avait obtenue pour chacune des pièces qui entrent dans sa composition.
Les réflecteurs métalliques qui entrent dans l'équipement des phares sont toujours des calottes de paraboloïde très exactement taillées et dont les distances focales ont été déterminées de manière à obtenir le maximum d'effet avec les sources lumineuse modernes. Leur précision est telle qu'il est possible de régler la position du foyer de façon à envoyer le faisceau à l'horizon, condition irréalisable avec les optiques lenticulaires parce que, si on relevait la source au dessus du plan focal, on abaisserait sans doute le faisceau dû à la lentille dioptrique, mais on relèverait par la même occasion celui émanant de la partie catadioptrique.
On construit actuellement six types de réflecteurs pour phares dont voici les caractéristiques :
Diamètres : 0m.30, 0m.50, 0m.75, 1m.10, 1m.50,2m.25
Distances focales : 0m.15, 0m.20, 0m.26, 0m.33, 0m.445, 0m.65.

D'un diamètre au diamètre suivant, la surface des appareils et, par suite, leur puissance lumineuse sont sensiblement doublées. Les quatre plus grands projecteurs sont éclairés par l'incandescence à vapeur de pétrole ; l'incandescence électrique est employée pour l'éclairage des deux premiers types ainsi que, depuis quelque temps, dans ceux de 1m.10 et de 0m.75. De plus, l'acétylène et l'arc électrique équipent également des réflecteurs de tous les diamètres. Comme dans les phares à panneaux lenticulaires, les réflecteurs sont entourés de lanternes permettant au gardien de circuler autour de l'appareil pendant le fonctionnement ; leurs diamètres varient de 1m.40 pour les réflecteurs de 0m.30 à 3m.50 pour ceux de 2m.25. Pour la rotation, on a pu éviter l'emploi des cuves à mercure à cause de la légèreté des appareils ; les réflecteurs sont simplement montés sur des armatures pourvues de roulements à billes, actionnés les uns par un moteur électrique, les autres par un mouvement d'horlogerie,  comme dans les autres phares.

FIG. 5. — DEUX TYPES DE LAMPES A INCANDESCENCE ÉLECTRIQUE, SPÉCIALES POUR PHARES A
RÉFLECTEURS MÉTALLIQUES

Lampes de 3.000 watts: à gauche, pour feux maritimes;
à droite, pour phares de navigation aérienne.

On sait, d'autre part, que les phares se caractérisent par leurs feux qui sont à éclats brefs, isolés ou groupés, séparés par des éclipses de durée variable, mais toujours beaucoup plus longues que les éclats. Pour réaliser ce que l'on désigne sous le nom de caractère d'un feu, on est obligé de grouper, dans les phares à optique de Fresnel, des panneaux lenticulaires autour du foyer lumineux. Un phare à quatre éclats équidistants, par exemple, sera donc constitué par quatre panneaux placés suivant les côtés d'un carré dont le foyer occupe le centre. 
Comment faire pour réaliser cette obligation à l'aide des projecteurs ? 
Tout simplement en sectionnant le projecteur en autant de secteurs que l'on désire obtenir d'éclats ; ces secteurs sont ensuite convenablement distribués autour de la source. En tournant, chacun d'eux envoie sur l'horizon un éclat très bref suivi par une éclipse représentée par la distance entre deux secteurs consécutifs. Quand on veut réaliser des éclats équidistants, un seul réflecteur entier suffit ; on le fait tourner à la vitesse qu'il est nécessaire.
Ajoutons encore que les réflecteurs sont dorés ; le faisceau s'enrichit ainsi de rayons jaunes, qui sont plus persistants que ceux de la lumière ordinaire, augmentent la portée du phare et permettent encore de réduire sensiblement la durée des éclats.
Le premier essai de ces réflecteurs eut lieu en 1911 et la première application fut réalisée aux feux d'alignement de Touchka (mer Noire) avec des réflecteurs de 0 m. 75. Ce fut seulement en 1918 que le premier feu à éclats et à réflecteurs métalliques fut installé à Grand-Bassam, sur la Côte d'Ivoire. Cet appareil est constitué par un réflecteur de 0 m. 75 de diamètre éclairé par un manchon de 55 millimètres porté à l'incandescence par un brûleur à vapeur de pétrole. Ici, le réflecteur est porté par une armature en fonte reposant sur un flotteur à mercure.
La même année, fut installé le phare du Galiton, au nord de la Tunisie. C'est un appareil à quatre éclats, constitué par un réflecteur de 2 m. 25 de diamètre sectionné en quatre secteurs égaux, disposés deux au-dessus, deux au-dessous du plan horizontal moyen. La source lumineuse est un brûleur à vapeur de pétrole portant à l'incandescence un manchon de 85 millimètres de diamètre. Les quatre faisceaux ont chacun une puissance égale.
Les essais ont permis de constater l'absence complète de tout éclat parasite, bien que l'appareil ne comporte ni les écrans ni les rideaux dont l'emploi est indispensable avec les optiques lenticulaires pour obtenir le même résultat. A courte distance, on ne voit entre les éclats que la lampe elle-même, qui constitue un feu fixe peu puissant cependant utile aux navigateurs.
Le phare du Galiton est en service depuis le mois de mai 1919 ; il avait été établi pour une portée de 54 kilomètres environ, mais il résulte des observations faites par l'administration des Ponts et Chaussées de Tunisie que la portée moyenne de ce feu atteint près de 60 kilomètres, portée géographique pour un observateur situé à 10 mètres au-dessus du niveau de la mer; fréquemment, quand l'atmosphère est sans brume, la clarté du feu est aperçue à 90 kilomètres par les bateaux de pêche. Cette portée est supérieure à celle des feux de premier ordre à quatre éclats du littoral méditerranéen, lesquels ont une intensité de 200.000 bougies, l'éclat ayant une durée de 0"37.
L'aéronautique utilise également des phares à réflecteurs métalliques, dont le plus important est celui du Mont Valérien, construit en 1921. Il utilise deux réflecteurs métalliques de 2 mètres de diamètre, éclairés par les plus fortes sources lumineuses connues : deux arcs électriques de 300 ampères sous 90 volts ; la puissance lumineuse horizontale de chaque faisceau est supérieure à 800 millions de bougies et la portée dépasse 300 kilomètres pour les avions volant à une hauteur suffisante où l'atmosphère est d'une très grande transparence.
L'arc électrique a été choisi comme source de lumière en raison de sa grande puissance, bien qu'il ne possède pas la forme allongée désirable pour les phares d'aviation. Pour remédier à cet inconvénient, qui ne permet pas d'élever suffisamment le plafond du faisceau pour être vu d'une grande hauteur, les anciens Etablissements Sautter-Harlé ont ajouté un réflecteur auxiliaire de 0 m.90 de diamètre à chacun des grands projecteurs (fig. 4) ; le faisceau est alors prolongé vers le haut avec l'intensité voulue pour que l'aviateur ne perde jamais la vue du feu quand il s'en rapproche en volant à hauteur constante. Le caractère de ce feu peut être modifié en orientant les deux projecteurs, l'un par rapport à l'autre, suivant des angles différents ou encore en changeant la vitesse de rotation de l'appareil mobile.
L'aéronautique militaire utilise également des appareils munis de réflecteurs sectionnés en quatre parties, dont deux sont égales, chacune à un tiers de réflecteur entier et les deux autres à un sixième. A l'aide d'une armature convenable, on peut réunir les quatre morceaux pour reconstituer le réflecteur entier, les grouper en deux demi-réflecteurs ou en trois tiers de réflecteur. On réalise ainsi un appareil à éclats équidistants, un appareil à deux éclats groupés, ou un appareil à trois éclats groupés. Ces appareils sont éclairés, soit par une lampe cylindrique à incandescence électrique, soit par plusieurs manchons à acétylène. La portée est sensiblement la même, quel que soit le caractère du feu, si la durée d'un tour de l'appareil est proportionnelle au nombre des faisceaux.
La plus récente application des phares à réflecteurs métalliques est celle en cours d'exécution au cap Gris-Nez. C'est un phare électrique à éclats, installé pourla navigation aérienne, à la demande des aviateurs qui avaient constaté la très grande utilité pour eux des phares électriques à éclat servant à la navigation maritime. Mais la faible divergence verticale de ces appareils a décidé l'Administration française à les faire surmonter d'un appareil auxiliaire de même caractère, mais pourvu d'une grande divergence verticale. Ce sont donc, en réalité, deux phares différents installés l'un au-dessus de l'autre au sommet d'une même tour.
Quatre réflecteurs identiques tournent autour d'une même lampe à incandescence électrique et renvoient quatre faisceaux lumineux méplats verticalement, allant du voisinage de l'horizon, où ils possèdent leur intensité maxima, jusqu'au zénith. La rotation de l'aérophare est assurée par un arbre télescopique à cardan relié à l'armature du système Optique du phare maritime ; on réalise ainsi une coïncidence très rigoureuse entre les éclats des deux appareils. C'était là une obligation absolue pour ne pas gêner la navigation maritime.


FIG 7. — OPTIQUE A RÉFLECTEURS
MÉTALLIQUES POUR FEUX ÉCLAIRS A GROUPES DE QUATRE ÉCLATS ALTERNANT AVEC UN ÉCLAT

L'optique est renfermée dans une enveloppe circulaire en cuivre rouge, fermée à la partie supérieure par une dalle bombée en verre qui laisse passer la lumière.
Pour compléter cette étude sommaire des phares à projecteurs métalliques, nous allons donner quelques chiffres d'intensité et de portée de certains appareils d'après leur mode d'éclairage.
Un réflecteur de 2 m.25 de diamètre, éclairé à l'incandescence par la vapeur de pétrole avee un manchon de 85 millimètres de diamètre à un éclat équidistant projeté par un réflecteur entier faisant un tour en quatre secondes, possède une intensité maximum de 890.000 bougies ; l'intensité de l'éclat, ayant même portée et une durée de quatre dixièmes de seconde seulement, serait de 268.000 bougies.
Si le même réflecteur a été sectionné en deux parties pour fournir deux éclats groupés, on double le temps de la révolution pour maintenir un temps d'éclipse suffisant entre deux éclats successifs. L'intensité maximum sur chaque demi-réflecteur n'est plus que de 445.000 bougies ; l'éclat, ayant même portée et une durée de quatre dixièmes de seconde, aurait une intensité presque égale à la précédente : 225.000 bougies, au lieu de 268.000.
Avec un réflecteur fait de quatre secteurs assemblés pour constituer un groupe de quatre éclats, l'intensité maximum de chaque secteur descend à 220.000 bougies, et celle de l'éclat équivalent à 265.000 bougies.
Les portées varient avec les régions. C'est en Méditerranée que l'on obtient les plus longues pendant la moitié des jours de l'année. Un phare comportant un réflecteur de 2 m. 25 de diamètre, caractérisé comme nous l'avons dit, a une portée ainsi définie de 36 milles 5 ; partagé en deux secteurs, sa portée est de 35 milles, et en quatre secteurs les éclats sont encore visibles à 34 milles.
L'incandescence électrique fournit des portées lumineuses beaucoup plus élevées. Un projecteur entier de 1 m. 10 a une intensité totale de 5 millions de bougies, chaque éclat ayant même portée et une durée de quatre dixièmes de seconde, aurait une intensité de 765.000 bougies décimales. Sa portée, en Méditerranée, est de 42 milles. Lorsque le projecteur est sectionné pour fournir un groupe de quatre éclats, l'intensité maximum n'est plus que de 1.200.000 bougies par secteur; l'éclat, ayant .même portée et une durée -de 0,4 seconde, aurait dans ce cas une intensité de 575.000 bougies. Si maintenant nous considérons un phare dont l'optique est constituée par deux réflecteurs entiers de 2 mètres de diamètre, équipés chacun avec un arc de 300 ampères (type aérophare du Mont-Valérien), l'intensité lumineuse totale est de 600 millions de bougies ; celle de l'éclat, ayant même portée et une durée de 0,4 seconde, varie de 60 millions à 165 millions de bougies, selon le groupement adopté.
On voit , par le peu que nous venons de dire, que les réflecteurs métalliques, au moins aussi puissants que les optiques de Fresnel, l'emportent sur ces dernières au point de vue de la perfection du montage. Du poids et surtout du prix de revient.


FIG. 8. — OPTIQUE A RÉFLECTEURS
MÉTALLIQUES POUR FEUX ÉCLAIRS A
GROUPES DE TROIS ÉCLATS

JEAN GAËL.