Article signé Louis le Cunff et paru dans le magazine Historia n°272 paru en juillet 1969 - Photos d'Alain Perceval

 

 

     
     
 

« Les phares, ces cathédrales de la mer! »L’image est venue plus d’une fois sous la plume d'un poète. Et l'on doit convenir qu'elle correspond à une certaine réalité. Il y a en effet plus d'un point commun entre les grandes tours en mer et nos cathédrales. Ce sont les plus belles des vertus humaines qui ont présidé à l'édification des unes et des autres : ici, la foi ; là, la solidarité. La silhouette d'un phare, droit sur la mer, n'a-t-elle pas la majesté des grandes tours de Chartres dominant les plaines de Beauce? Et si jadis les pèlerins cheminaient en se guidant sur les hautes flèches de nos églises, aujourd'hui les navires ne recherchent-ils pas dans la nuit l'éclat rassurant des feux marins ? Louis Le Cunff, l'auteur de « Feux de mer », de « S.O.S. » (André Bonne) nous raconte ainsi l'histoire d'un phare de Sein que tant de touristes, cet été, vont apercevoir.

Armen veille sur la chaussée de Sein : la Vieille, elle, monte la garde dans le Raz, entre l'île et la pointe, juste au milieu de ce cimetière sans pierre ni croix dont parle le dicton des femmes. Et cette Vieille, bien des marins l'appellent encore aujourd'hui du nom du rocher où elle est bâtie : Gorlebella.

En prononçant ce nom de Gorlebella, on se sent comme envoûté par l'étrange sonorité du mot. Et il n'est guère besoin de connaître les secrets de la prosodie pour enchaîner automatiquement :

Gorlebella, Gorlebella,

Dis-nous ce qui s'est passé là !

Oui, qu'il parle donc le vieux rocher du Raz, et qu'il nous conte tout ce qui s'est passé entre l'île et la pointe, depuis des millénaires qu'il assiste aux déchaînements de l'Océan; qu'il parle et qu'il nous dise comment fut engloutie la cité d'Ys, avec la belle et frivole Dahut; et tout ce qui se passe encore aux nuits d'hiver quand la tempête transforme la mer en un immense bouillonnement d'écume, et que souffle le vent dans ses lugubres cornemuses pour des fêtes d'épouvante...

Mais là-haut, dans la grande tour, trois hommes veillent. Et le phare, déjouant la conspiration traîtresse de la mer et des brisants, envoie chaque soir vers l'horizon les rayons blancs, rouges et verts de son feu. Et si la brume vient jeter son manteau entre la pointe et l'île, il y a encore la grosse sirène qui, avec ses trois coups longs par minute, lance aux pilotes son avertissement.

— Prenez garde à Gorlebella !

Le phare de la Vieille, comme chacune des tours isolées, possède son histoire et sa légende. Bien malin, en vérité, celui qui pourrait tracer entre les deux une frontière précise. Mais dans leur langage laconique, les rapports de mer nous fournissent la certitude que l'histoire est souvent plus sinistre que la légende.

« De tous les phares actuels du Finistère, disent-ils, il n'en est aucun d'accostage aussi difficile que l'est le phare de la Vieille.

La moindre houle grossie par les violents courants du Raz de Sein brise, en effet sur le débarcadère qui est la plupart du temps inaccostable... »

Non, le phare de Gorlebella n'a vraiment rien de comparable avec un square ou un musée de la capitale. Et lorsque, de la pointe du Raz ou de l'île de Sein, on regarde la mer qui moutonne autour du rocher, on se demande quelle aberration avait saisi le président Poincaré et ses ministres, le jour où ils décidèrent que la garde des phares en mer serait confiée, par priorité, aux mutilés de la guerre 14-18. Plus simplement, sans doute n'avaient-ils jamais eu l'occasion de mettre le pied sur une tour en mer.

Il est juste de dire que, lors des nombreuses discussions qui avaient présidé à l'adoption de cette loi, tant à la Chambre des députés qu'au Sénat, personne n'avait pris l'initiative de demander la parole pour souligner les dangers auxquels se trouveraient exposés les malheureux éclopés qui solliciteraient un emploi à la Jument d'Ouessant, Armen (1), la Vieille, ou les Pierres Noires.

La loi parut à l'Officiel le 7 février suivant. Et l'on vit bientôt affluer les demandes des vieux poilus ou des anciens fusiliers marins qui avaient laissé dans l'Argonne, au Chemin des Dames ou à Verdun, un bras ou une jambe. Pour la plupart d'entre eux, ce furent des emplois dans les P.T.T., au Crédit municipal, dans les ministères, dans les musées.

Mais comme le prévoyait la loi, quelques-uns de ces mutilés furent affectés à la garde des phares en mer. Ainsi vit-on arriver à la Vieille deux mutilés corses, Mandolini et Terracci, durement éprouvés par la guerre, l'un et l'autre.

Le premier avait eu le poumon traversé par une balle et les muscles du bras droit littéralement sectionnés par des éclats d'obus. L'autre, également atteint au poumon, gardait encore dans le corps une balle que les chirurgiens militaires n'avaient pas réussi à extraire.

Il ne leur fallut pas longtemps pour comprendre que l'emploi qui leur avait été attribué n'avait rien de commun avec ce qu'ils avaient imaginé. Ces exercices d'acrobatie que constituent les relèves étaient pour eux un véritable calvaire.

Et que dire de cet autre supplice qui leur était infligé et qui les contraignait, eux, blessés du poumon, à monter et descendre, pour les besoins du service, les 120 marches qui séparent les réservoirs à pétrole de la salle de veille.

Il faut ajouter, pour être complet, l'humidité, qui, d'un bout à l'autre de l'année, suinte le long des murs, la brume qui s'insinue partout, l'absence de ravitaillement frais et aussi l'éloignement du pays natal.

Après cela, on peut sans mal imaginer ce qu'était le moral des deux mutilés. Un moral si mauvais qu'il confinait à la neurasthénie : l'un d'eux devint si déprimé qu'il refusa de prendre son congé, préférant demeurer dans la tour pendant des mois plutôt que de descendre à terre.

Dès le début, Mandolini et Terracci avaient protesté contre leur affectation en un tel enfer. Ils s'étaient fait établir des certificats d'inaptitude qu'ils avaient adressés à l'administration.

En pure perte !  La loi était la loi, leur fit-on comprendre. Ils avaient sollicité un emploi réservé; ils l'avaient obtenu. Que pouvaient-ils souhaiter de mieux ? Ah, cette fameuse et dure loi, tellement faite pour tous qu'elle en oublie les besoins de chacun en particulier !

Il fallut que la présence des deux mutilés sur la Vieille prît brusquement un caractère tragique pour que l'administration fût mise au pied du mur.

Au milieu de décembre 1925, la tempête se déchaîna sur les côtes de Bretagne. Le Raz avait cessé d'être un détroit pour devenir une sorte de nébuleuse où se mêlaient, dans un vacarme hallucinant, les lames, les vents, la pluie. Pendant des jours et des jours, la tour carrée fut invisible au milieu de ce « chaudron du diable ».

Pas question, évidemment, d'aller ravitailler les gardiens ! C'eût été la mort certaine pour les malheureux qui se fussent aventurés à cent brasses de Sein ou de Plogoff.

Le hasard voulut que le gardien-chef se trouvât en congé, et qu'ainsi le phare fût entièrement livré aux deux mutilés.

Un jour, une vague éclaircie permit d'apercevoir le phare : le drapeau noir flottait à son sommet.

Assurément, les deux emmurés devaient être aux prises avec de terribles difficultés. Qui sait si les vivres et l'eau potable ne commençaient pas à manquer ?

Les ravitailleurs tentèrent une sortie. Ils parvinrent, non sans mal, à la hauteur de Gorlebella, mais il leur fut absolument impossible d'aborder au terre-plein.

Tout au plus, réussit-on à hisser aux deux hommes quelques paquets de vivres qu'on fit glisser le long d'un filin, et qui furent pendant l'ascension copieusement rincés.

Mais le bateau dut repartir sans avoir assuré la relève.

Un témoin rapporte que les deux infortunés veilleurs apparurent quelques instants sur l'étroite plate-forme du phare, « noirs comme des démons, les vêtements en lambeaux, mais que, devant la menace du flot, ils durent rapidement rentrer dans la tour ».

Le 19 février ils étaient toujours isolés du monde.

C'est alors que se produisit le drame qui devait alerter l'opinion. Dans la nuit du 19 au 20, une goélette de Paimpol, La Surprise, alla se fracasser sur les rochers de l'Enfer de Plogoff. On retrouva, dans les jours qui suivirent, trois cadavres déchiquetés, et un cœur mis à nu, arraché littéralement de sa carcasse.

Du coup, ce fut la panique sur toute la côte bretonne. Des patrons de pêche assurèrent qu'à plusieurs reprises le phare s'était éteint, et que la nuit du naufrage la sirène de brume n'avait pas fonctionné régulièrement.

L'envoyé spécial de la Dépêche de Brest. qui était aussi le correspondant de l'Intransigeant, arriva à Plogoff et se fit l'écho de ces rumeurs.

Toute la France connut bientôt le sort des deux gardiens que l'on imagina à bout de forces, incapables de mettre en marche le moteur de la sirène et d'assurer la veille.

Il convient de préciser que le ravitaillement du phare de la Vieille n'était pas assuré à cette époque, comme il l'est aujourd'hui, par la Velleda, la puissante vedette des Ponts et Chaussées de l'île de Sein.

C'étaient encore des pêcheurs qui, passant contrat avec le service des Phares et Balises, prenaient en charge le ravitaillement et la relève des gardiens.

Au moment où se situe le drame, le ravitailleur était un patron de Plogoff, Clet Coquet. Le 28 février, il va une nouvelle fois tenter d'atteindre le phare. La tempête ne s'est pas calmée, et la mer continue sa terrible sarabande.

Coquet assurément n'est pas un novice, mais il connaît les risques et il a décidé de les prendre. Il emmène avec lui son propre fils et le gardien-chef du phare d'Armen, Nicolas Kerninon, qui se trouve en congé après avoir été lui-même bloqué « au bout de la Chaussée », pendant plusieurs semaines.

A la demande de l'ingénieur Coyne, venu de Brest pour participer aux opérations de sauvetage, le jeune Coquet et Kerninon ont accepté de « monter » au phare. S’il y a possibilité, ils passeront sur la tour et Clet Coquet ramènera les corses.

Jamais sans doute, dans les annales des Phares et Balises, opération présenta plus de difficultés. Ni Terracci ni Mandolini, handicapés par leurs blessures, n'étaient en mesure de se servir du cartahu.

Les sauveteurs durent se résigner à utiliser un autre moyen, infiniment plus dangereux. Un filin fut tendu entre la barque bondissant au sommet des lames et la base du phare.

Et, l'un après l'autre, Kerninon et le fils Coquet, s'étant solidement ceinturés au câble, se lancèrent à la mer pour atteindre l'échelle de fer fixée au roc.

Ce fut moins simple lorsqu’il fallut faire passer au bateau les deux gardiens dont aucun ne savait nager et qui, de plus, étaient à bout de forces.

Ils passèrent cependant.

Et ce bain dans l'eau glacée dé février fut leur dernière épreuve. Le soir, tandis qu’ils recevaient les soins que nécessitait leur état, Kerninon et le jeune Coquet, ayant remis en état les appareils du phare, affirmaient une fois encore la suzeraineté des hommes sur la roche de Gorlobella. La Vieille envoyait à nouveau vers l’horizon les rayons de son feu à trois couleurs :  blanc, rouge et vert.

Pour cela, l'ingénieur Coyne n’avait pas hésité — pour reprendre sa propre expression — à se mettre hors la loi en ordonnant la descente à terre des deux gardiens. Et, de fait, les règlements stipulaient que l'un d'entre eux devait rester dans la tour.

Il fallut attendre plusieurs années pour que la loi sur les emplois réservés reçût les modifications qui s'imposaient.

Une précision pour terminer : il fut établi, après l'enquête, que les deux gardiens corses avaient assuré leur service tout au long de leur dramatique claustration. Leur responsabilité n'était donc en rien engagée dans le naufrage de la goélette La Surprise.

Qu'on n'aille surtout pas croire que la Vieille ait, depuis lors, cessé de faire parler d'elle. Deux mois à peine après l'aventure des deux veilleurs corses, un nouveau drame faillit conférer définitivement à la tour du Raz la lugubre renommée de « tour maudite ».

Cela se passa le 11 avril 1926. Ce jour-là, l'ingénieur Crouton, accompagné de quelques ouvriers de sa subdivision, était venu, avec le baliseur d'Ouessant, apporter à la Vieille les matériaux nécessaires à la construction d'un nouveau système d'accostage.

Une chaloupe avait amené les hommes à la roche et seuls deux marins étaient demeurés dans l'embarcation, le patron Pierre Lescop et l'auxiliaire Kerné.

La mer était belle, bien que les courants fussent assez violents. Rien en tout cas ne laissait prévoir cette lame sourde qui, brusquement, déferla sur le terre-plein du phare.

Les ouvriers s'étaient aussitôt agrippés à ce qui se trouvait à portée d'eux : main de fer ou rambarde. Mais la lame avait littéralement soulevé la chaloupe qui vint s'abattre avec ses passagers sur le débarcadère.

Il n'y aurait pas eu de mal si la mer n'avait aussitôt repris l'embarcation en la renversant.

Les deux matelots disparurent et, pendant quelques instants, les hommes qui se trouvaient sur le rocher crurent bien que c'en était fini des deux malheureux, dont seules les mains apparaissaient par moments.

Kerné put enfin se dégager et s'accrocha à la quille du bateau. On lui lança une ceinture de sauvetage et on le hissa sur le débarcadère.

Mais le patron Lescop était toujours sous l'eau. Dans le mouvement des lames, on apercevait parfois ses cheveux qui faisaient une tache sombre. Il réussit enfin à remonter à la surface et à saisir le filin qu'on lui jetait.

Il était temps : le pauvre homme était à demi asphyxié. Mais, ce jour-là, la mer n'eut pas son tribut de victimes.

Encore une date sinistre dans l'histoire de la Vieille : celle du 18 novembre 1929.

Ce jour était celui de la relève. Mais une fois de plus l'état de la mer interdit aux ravitailleurs l'approche du phare. Et pendant quarante jours le phare se trouva isolé du monde, perdu dans une sorte de mouvante et glaciale nébuleuse.

Plogoff et l'île de Sein virent revenir les reporters et la presse parla à nouveau de la Vieille, rappelant, bien entendu, le drame de 1926. Peu avant, les gardiens du phare des Barges étaient restés isolés pendant 59 jours, du 18 octobre au 16 décembre. Et le ministre des Travaux publics, assailli de coups de téléphone, commença à s'émouvoir. Il demanda des explications au directeur des Phares et Balises, qui n'eut pas de mal à le rassurer.

En effet, durant les quarante-cinq jours que dura leur isolement, les gardiens de la Vieille, Malgorn et Marzin, ne furent pas en péril. Le dernier ravitaillement remontait au 18 novembre, et l'approvisionnement, prévu pour trois mois, était loin d'être épuisé lorsque les deux hommes purent être secourus par le baliseur Georges-de-Joly.

Mais les installations du phare avaient été mises durement à l'épreuve par les lames. Celles-ci, rapporta le directeur des Phares et Balises au ministre, s'élevaient à 33 mètres au-dessus du niveau des hautes mers ordinaires, chose encore jamais vue.

Le jeune gardien Malgorn devait raconter par la suite qu'à plusieurs reprises l'eau pénétrait en grand dans le phare, noyant les plafonds et descendant en cascade dans l'escalier.

Jamais néanmoins le feu de la Vieille ne cessa de briller. De même, tout au long de novembre et de décembre, la sirène de brume fut régulièrement entendue par les navigateurs.

Marzin et Malgorn méritaient bien des éloges qui leur furent décernés à cette occasion et par l'administration et par la presse. Je cite un rapport :

Ils ont montré du courage et de l'initiative en tentant, la plus grande partie de la nuit, d'empêcher la mer qui couvrait la galerie supérieure d'inonder toutes les chambres. Ils se sont montrés audacieux en descendant du haut du phare sur la plate-forme par l'échelle de combat, pour tenter de saisir la longue poutre de ravitaillement dont les six chaînes d'attache avaient été rompues par la mer.

Voilà comment ils sont à la Vieille. Et ceux qui vivent aujourd'hui au milieu du Raz dans la tour carrée qui domine Gorlebella sont bien dignes de leurs anciens.

La leçon de tous ces événements, le directeur des Phares et Balises la formulait ainsi, le 26 décembre 1929 :

Les moyens de communication entre la terre et les phares en mer ont besoin d'être améliorés afin de permettre aux gardiens de donner sur leur situation des renseignements plus précis qu'avec les signaux réglementaires dont ils disposent actuellement.

Le directeur des Phares et Balises envisageait pour sa part l'installation de « communications par téléphone sans fil ». Et il abordait le fameux problème qui constitue aujourd'hui encore le sujet de préoccupation n° 1 de tous les services maritimes du monde : la suppression des gardiens dans les tours isolées en mer et leur remplacement par des appareils automatiques de signalisation, commandés de côte, soit par ondes hertziennes, soit par câbles.

Un quart de siècle a passé depuis lors. De nombreux phares automatiques ont été mis en service en France et dans le monde.

Mais aujourd'hui encore, il apparaît bien difficile de supprimer le gardiennage dans tous les phares en mer.

Pour en revenir à Gorlebella, n'allez surtout pas croire que depuis 1929 la maudite roche ait cessé de faire parler d'elle. A plusieurs reprises, au cours de ces der¬nières années, elle a encore défrayé la chronique, et chaque fois pour quelque nouveau méfait.

Ainsi, le ter février 1952, c'était au tour de Lasbleiz, un des trois gardiens de la Vieille, de descendre à terre. Malgré une mer assez grosse, la vedette Velleda était exacte au rendez-vous. Simplement, pour ne pas courir le risque d'être drossée sur les rochers, elle demeurait à une bonne distance de Gorlebella.

Lasbleiz comprit qu'il était bon pour « une partie de ballon », en d'autres termes qu'il allait devoir emprunter le va-et-vient.

Cela n'était pas pour l'effrayer. Revêtu de ses vêtements de toile huilée, botté de caoutchouc, il capela son gilet de sauvetage, prit place à califourchon sur la petite nacelle et s'agrippa au câble.

Doucement, le treuil laissa glisser la poulie, et bientôt Lasbleiz ne fut plus qu'une sorte d'araignée suspendue à son fil au-dessus du vide.

La descente était difficile, car d'énormes lames s'élançaient vers la tour, masquant parfois le gardien au conducteur du treuil. Tournoyant sur lui-même, Lasbleiz descendait vers la Velleda lorsqu'une lame vint le gifler si violemment qu'il lâcha prise et bascula dans l'eau glaciale.

Son gilet de sauvetage le ramène à la surface, mais ses bottes emplies d'eau entravent ses mouvements. Ceux du phare lui jettent un filin qu'il parvient à saisir, non sans mal.

On commence à le hisser, lorsqu'une seconde lame, plus forte encore que la précédente, l'aveugle et le jette une nouvelle fois à la mer d'une hauteur de 15 mètres. La mer le précipite alors avec une force effrayante contre le flanc de la Velleda.

Blessé au visage, à demi assommé, roulé par les vagues, Lasbleiz trouve encore assez d'énergie pour s'agripper à un filin.

Enfin, on le hisse sur le. pont. Comme il le dit lui-même aujourd'hui en souriant :

— Pour une drôle de relève, ce fut une drôle de relève !

Ce n'est pas lui, assurément, qui se hasarderait à affirmer que l'on peut désormais faire confiance à Gorlebella. Il sait bien, Lasbleiz — et ils savent bien, tous ceux qui hantent ces parages — que pas loin de là, une roche tout aussi perfide que Gorlebella a mis les hommes en échec, alors que depuis trente années ceux-ci croyaient l'avoir maîtrisée.

 
 
 
 
 
     

 

 

 

 

 

 

(1) Sur ces deux phares. il faut lire: « Il y a 75 ans, le phare d'Armen triomphait de la mer » (Historia, n° 118), et « Le phare allait-il s'écrouler ? » (Historia, n° 128), par Louis Le Cunff (à venir dans les Lettres de Phareland 76 et 77)