Reproduction d'un article de Eugène H WEISS  paru dans La Nature numéro 2452 le  2 Avril 1921


Les dispositions du système optique des phares n'ont été en réalité aucunement modifiées depuis les travaux remarquables de Fresnel. On rencontre encore les lentilles à échelons qui permettent de donner une ouverture plus grande au faisceau lumineux sans une aberration trop grande.

Dans le même ordre d'idées, Fresnel imagina de capter les rayons inférieurs et supérieurs de la flamme, et, après des essais divers, il réalisa les anneaux catadioptriques ou portions annulaires de lentilles, qui agissent à la fois comme lentilles et comme réflecteurs.

Le principe optique est donc connu depuis de nombreuses années et naturellement nous le passerons sous silence puisqu'il n'a subi aucun changement. Les progrès réalisés n'intéressent par suite que la construction en elle-même, le mécanisme de fonctionnement et surtout les moyens d'éclairage. Ce sont ces points particuliers que nous nous proposons d'examiner.

Au point de vue de la diversité des feux, chaque pays a un peu ses règles spéciales. C'est ainsi qu'en France on distingue les feux fixes qui éclairent d'une manière continue et uniforme et qui se différencient en feux d'horizon et en feux de direction ; ces derniers ne donnent de la lumière que dans un secteur délimité. Les feux à éclipses ont leur lumière occultée à des intervalles réguliers ou inégaux. Enfin, les feux à éclats se distinguent des précédents en ce que les éclats sont courts par rapport aux occultations.

Tous ces phares ou signaux lumineux divers sont indiqués sur les cartes marines et permettent aux navires de déterminer leur position le long des côtes en pleine nuit. On conçoit que la multiplicité des combinaisons permet de situer et de définir le phare dont on aperçoit les feux soit fixes, soit à éclipses, soit à éclats.

Au point de vue de leur portée lumineuse, on divise les phares en catégories ou classes, qui sont délimitées par leurs dimensions de lentilles et par l'intensité de leur source lumineuse.

Si nous étudions la construction des phares, nous voyons que la tendance actuelle est de constituer les tours en charpentes métalliques. Dès le début de la construction et de l'usage des phares (et ces origines se perdent dans la nuit des temps) on a construit les colonnes en pierre, mais ce n'est pas toujours chose aisée. Les premiers phares en fer furent établis il y a cinquante ans environ et ils se composaient alors d'une ossature intérieure recouverte de feuilles de tôle. On n'édifiait ainsi d'ailleurs que les petits phares et les fanaux.

Avec les progrès métallurgiques actuels, la supériorité des constructions métalliques n'est plus à établir.

 

Les plus sûrs garants de cette affirmation sont la place prépondérante prise par cette industrie, les difficultés de tout ordre qui ont été surmontées et les résultats surprenants qui ont été acquis.

Si nous n'envisageons la question qu'au point de vue de l'établissement des phares et des signaux maritimes, on peut démontrer facilement que les constructions métalliques présentent de nombreux avantages sur leurs rivales : les constructions en maçonnerie et même en ciment armé.

Tout d'abord on a immédiatement l'avantage d'obtenir une plus grande sécurité, puisqu'une construction établie d'après des calculs précis et sur des bases déterminées n'aura à supporter que des efforts prévus et fixés d'avance.

Souvent le phare est installé dans des endroits déserts, dans des îlots isolés et presque toujours sur des emplacements escarpés : dans ces conditions la construction d'un phare métallique se fait avec le minimum des difficultés.

La tour en maçonnerie exige toujours des ouvriers maçons habiles et expérimentés, qui sont souvent introuvables dans bien des régions, et une main-d'oeuvre considérable qu'on ne recrute et qu'on ne fait rendre qu'avec peine dans les pays chauds, là où les naturels sont toujours portés à l'indolence et à la paresse.

Enfin pour exécuter de la maçonnerie, il faut disposer d'une grande quantité d'eau douce et ceci paraît à première vue tout simple, mais dans bien des cas cette nécessité donne lieu à de grandes difficultés, occasionne des transports importants et difficiles à agencer.

 

Avec la tour métallique, on évite la majorité de ces inconvénients, car toutes les pièces dont le transport est prévu sont soigneusement repérées. Le montage devient facile et on peut le faire exécuter par des ouvriers un peu quelconques, à condition bien entendu qu'ils soient dirigés par un chef monteur : ceci réduit les frais de main-d'oeuvre et par suite le prix de revient. Le phare métallique a de plus la supériorité de mieux s'adapter comme forme aux nécessités de chaque cas particulier, comme par exemple d'offrir au vent et à la mer le moins de résistance possible et ceci est particulièrement intéressant pour les récifs isolés et battus par les flots.

Si nous examinons les systèmes employés pour la rotation de l'ensemble optique, on constate des améliorations sensibles dans le mouvement, lequel est d'ailleurs toujours produit par un mécanisme d'horlogerie à poids. Les panneaux d'éléments dioptriques et catadioptriques sont montés sur un plateau flottant, qui repose sur un bain de mercure contenu dans une cuve métallique.

 

Le groupement des panneaux est différent suivant la nature du phare donnant un groupe de trois éclats, on compose le système optique de trois panneaux, qui sous-tendent chacun horizontalement un arc de 72°. Si le mouvement d'horlogerie fait exécuter à l'appareil un tour complet en 30 secondes, chacun des trois panneaux optiques émet un pinceau lumineux et toutes les 30 secondes, le navigateur aperçoit un groupe de trois éclats.

Dans d'autres appareils on dispose des groupements symétriques deux à deux, par exemple quatre panneaux groupés par deux. Si l'appareil fait un tour complet en 10 secondes, le navigateur apercevra un groupe de deux éclats toutes les 5 secondes. Les combinaisons sont, comme on peut en juger, extrêmement nombreuses et variées et servent ainsi à identifier les différents phares et feux placés sur les côtes.

La cuve à mercure qui sert pour ainsi dire de pivot de rotation au système, est placée sur une colonne d'un diamètre en rapport qui permet au gardien de pénétrer à l'intérieur des grands phares, afin de faire le service de la lampe.

L'éclairage des phares est la partie qui a fait le plus de progrès à notre époque Au temps de Fresnel, on utilisait l'huile et ce fut d'ailleurs pour étudier cette question des mèches à huile, qu'en 1819 François Arago choisit, pour l'aider dans ces expériences , un jeune ingénieur des Ponts et Chaussées, Fresnel, qui végétait en province et qui s'était déjà signalé par ses belles recherches d'optique.

L'huile a naturellement été détrônée par des produits plus éclairants : pétrole, vapeur de pétrole, acétylène et enfin électricité. L'éclairage à la vapeur de pétrole est produit par une double batterie de réservoirs dont un sert de rechange. Le réservoir supérieur contient le pétrole nécessaire pour une durée de marche d'au moins seize heures. Dans la partie inférieur, on comprime de l'air au moyen d'une pompe qui est fixée sur le collier qui relie les deux parties haut et bas. Par le jeu des robinets, on peut isoler chacune des deux batteries ou les mettre en communication si on le désire. La vapeur de pétrole est dirigée sur un manchon qu'elle rend incandescent. Un éclairage de secours est prévu et il est constitué par un bec à trois mèches du système dit à niveau constant.

L'éclairage par acétylène se fait avec manchons portés à l'incandescence au même titre que la vapeur de pétrole. Certains dispositifs de valves dites solaires imaginés par le savant suédois Dalen permettent l'allumage et l'extension automatiques et l'on a fait grand cas de ce procédé pour rendre inutile le gardiennage et supprimer l'entretien. En réalité la valve solaire ne peut fonctionner que si elle est parfaitement entretenue et la sollicitude du gardien ne fait que changer d'objet.

Au point de vue de l'allumage et de l'extinction à distance, l'électricité tient aujourd'hui le premier rang : la lutte de l'éclairage électrique contre les autres systèmes n'est d'ailleurs pas nouvelle.

Déjà en 1848, la commission des phares se préoccupait d'applique l'électricité aux phares aec les piles voltaïques. En 1860, on eut l'idée d'employer pour cet usage les courants d'induction, mais le premier essai pratique fut réalisé en 1863, au phare de la Hève, avec la célèbre machine magnétoélectrique de l'Alliance à 56 aimants naturels.

Dans ces premiers essais où l'on put constater la supériorité de l'arc comme puissance, les progrès réalisés ont suivi ceux de l'industrie électrique elle-même, qui là encore est sortie victorieuse de la lutte, reléguant le pétrole et l'acétylène pour les feux isolés et moins puissants.

Il est en effet toujours possible, avec le transport de force, de conduire le courant sur la côte et au besoin de le fournir au phare par un petit câble sous-marin, si cela est nécessaire. L'utilisation de la force des marées aura de plus ainsi un débouché tout indiqué à pied d'oeuvre ; les frais d'établissement étant vite amortis par l'économie du système d'éclairage électrique qui, en l'espèce, ne coûtera rien d'autre que l'amortissement du matériel.

Jusqu'à ces temps derniers, les phares qui doivent avoir une grande portée, qu'on appelle phares d'atterrissage, s'établissaient suivant deux types : le premier comportait un appareil optique de grand ordre et était éclairé par un manchon rendu incandescent par la vapeur de pétrole ou par l'acétylène. Le second genre était constitué par un système optique d'un ordre moindre, mais illuminé par une lampe à arc électrique.

La puissance lumineuse, dans un cas comme dans l'autre, était la même bien que les systèmes optiques fussent différents, car grâce à l'éclat intrinsèque de l'arc électrique, on obtient avec lui une puissance lumineuse beaucoup plus élevée.

Malgré tout, en raison de la faible dimension de l'arc, le pinceau lumineux émis par le système optique n'a qu'une faible amplitude. Par suite dans les feux à éclats, appelés par les marins feux tournants, les éclats ont une durée très faible qui est de l'ordre du dixième de seconde et cette durée est un peu réduite pour la bonne perception de l'éclat.

Jusqu'à ces dernières années, il ne fallait pas songer à l'emploi de la lampe électrique à incandescence, car le volume des filaments s'accroissait avec l'intensité des lampes et l'éclat intrinsèque moyen était toujours faible malgré qu'on augmentât l'intensité de la source lumineuse.

Mais on a réalisé en ces derniers temps de très grands progrès dans la construction des lampes à incandescence et on peut dire que l'on dispose aujourd'hui d'une lampe à incandescence qui présente tous les avantages de la lampe à arc sans en avoir les inconvénients. Il résulte de cet emploi une grande simplification du service, lequel se réduit à l'allumage et à l'extinction du feu par la manoeuvre de simples interrupteurs, sans qu'on ait besoin de recourir à la présence d'un gardien. Ce dernier n'est nécessaire que pour l'entretien des appareils.

 

Pour toutes ces raisons, le prix de l'unité de lumière se trouve réduit de beaucoup, ainsi que les dépenses annuelles d'entretien, et l'on a en outre l'avantage d'avoir accru l'intensité lumineuse des appareils.

Les lampes qu'on emploie comportent un filament de tungstène qui est enroulé sur lui-même, de façon qu'il ait une grande épaisseur. Chacun des boudins est resserré au plus près, de façon qu'il y ait entre eux le moins d'espace possible : on obtient alors un éclat intrinsèque qui est très élevé, sans toutefois être égal à celui du cratère de l'arc électrique. Les différents éléments du filament sont disposés de façon que chacun des éléments prismatiques constituant l'appareil optique reçoive, dans de bonnes conditions, tout le flux lumineux émis par les filaments. Comme ces filaments se présentent sous un volume au moins trois fois plus grand que celui du cratère de l'arc, il s'ensuit que, dans les feux tournants, l'éclat a une durée supérieure d'au moins 3 dixièmes de seconde et ceci permet de percevoir intégralement l'intensité de l'éclat. Avec un système optique normal, au foyer duquel est placée une lampe à incandescence de 4000 bougies, on obtient une intensité lumineuse d'éclat considérable dépassant
même 1 million de bougies décimales.

 

Les intensités que l'on peut obtenir avec les lampes à incandescence sont remarquables. Il faut considérer en outre la grande sécurité que présente ce mode d'éclairage sans exiger la présence permanente d'un gardien dans la lanterne du phare. Si, par suite de la rupture d'une lampe, le phare venait à s'éteindre, une sonnerie électrique avertirait le gardien qui repose et quelques instants suffiraient pour remplacer la lampe.

Enfin l'emploi d'une lampe constituée par deux ou même plusieurs systèmes de filaments indépendants montés en dérivation permet, dans le cas où l'un des filaments viendrait à manquer, d'assurer quand même l'éclairage du phare. Dans les grands appareils où il y a de la place, on peut adopter un dispositif comportant plusieurs lampes. Ce dispositif est constitué de telle sorte que, lorsque la lampe en service vient à manquer, une seconde prend automatiquement la place de celle-ci et cela très facilement et en toute sécurité.

Nous avons été à même de juger des avantages de tous ces dispositifs dans les laboratoires du constructeur bien connu de phares, M.Bénard, qui nous a fait visiter ses établissements et a tenu à nous mettre lui-même obligeamment au courant des derniers perfectionnements réalisés dans la construction des phares.

En résumé si l'on considère les avantages précités : grande puissance lumineuse, simplicité du service, économie importantes de frais de gardiennage, on peut en conclure que l'emploi de l'électricité sou forme de lampe à incandescence est appelé à remplacer tous les modes d'éclairage jusqu'à présent en usage dans les phares, de quelque importance qu'ils soient.

 

Eugène H WEISS - La Nature numéro 2452 - 2 Avril 1921

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