Article paru dans le Petit Inventeur du 31 juillet 1923

     

A partir du moment où les hommes commencèrent à circuler sur mer, ils cherchèrent le moyen de pouvoir se rendre compte, la nuit, en face de quelle côte ils se trouvaient ; et c'est le feu seul qui jusqu'à ce jour a été employé pour indiquer leur route aux marins. À notre époque où les progrès scientifiques ont mis à notre disposition diverses découvertes admirables comme celles de la télégraphie et de la téléphonie sans fil,  par exemple, il n'est pas de doute que nous réaliserons des procédés plus perfectionnés pour aider les navires dans leur marche ; mais pour le moment ce sont les phares qui donnent aux bateaux la sécurité nécessaire.

 

 

Les premiers phares.

 

Les premiers peuples navigateurs firent tout simplement usage de feux de bois que l'on allumait sur un promontoire : le système était bien primitif et que de catastrophes il provoqua! Il était si facile à des malfaiteurs d'allumer un feu à un point  dangereux de façon à diriger le bateau sur un endroit où il s’abimait contre des rochers à la grande joie des pirates qui venaient ensuite piller le navire.

L'une des merveilles du monde :
Le phare d'Alexandrie.

C'est au IXè siècle avant Jésus-Christ qu'apparut le premier phare, c'est-à-dire la première construction portant un feu ; c'était une tour située au cap Sigée à l'entrée de l'Hellespont dans la mer Égée. Plus tard on construisit des phares aux abords du Pirée et dans les principales rades de Grèce. Au IIIè siècle avant Jésus-Christ fut édifiée une tour en marbre blanc, haute de 135 mètres dans une île de l'Égypte ancienne nommée Pharos, et sur laquelle on allumait un feu ; c'est du nom de cette île que vient celui de phare. Cette tour ébranlée fréquemment par des tremblements de terre finit par s'écrouler en 1302. Quant aux Romains, ils avaient des phares, à Ostie, Ravenne, Pouzzoles et en Gaule, à Boulogne ; cette dernière tour était encore debout à la fin du XVIè siècle.

 

Les temps modernes.

Jusqu'en 1790 l'éclairage des phares resta assez rudimentaire ; on se servait de feux de charbon, de feux de bois, de torches de résines, ou de lampes tout à fait grossières. C'est à partir de cette époque que cet éclairage commença à se perfectionner ; ce sont les grands savants Argand, Fresnel qui illustrent  l'histoire des phares, le premier créant un modèle de lampes, le second inventant les types de lentilles en usage dans ces appareils ; plus près de nous, en 1889, Bourdelles apporte aux phares des perfectionnements mécaniques importants.

L'huile végétale employée pour l'éclairage fait place à partir de 1890 au pétrole, et de nos jours on utilise dans certains cas différents autres systèmes comme incandescence par le gaz, ou par la vapeur de pétrole, éclairage électrique, acétylène, etc. Suivant leur intensité et par ordre de décroissance on dit que les phares appartiennent au premier ordre, au second ordre et ainsi de suite jusqu'au sixième ordre ; les phares les plus puissants sont destinés à renseigner le navigateur en pleine mer, les phares moyens aident les marins dans la navigation côtière, les phares les moins puissants sont utilisés pour les navires qui arrivent dans les ports pour prendre exactement l'entrée de ces derniers et se diriger dans les' rades. En général on se sert, dans les phares du premier au quatrième ordre, de feux marchant à l'incandescence par le pétrole ; dans les phares des cinquième et sixième ordres qui sont tout à fait secondaires on emploie des lampes à pétrole au moyen de mèches et on se sert également de becs de gaz à incandescence, et de l'acétylène. L'éclairage par lampes à arc électrique, qui est la source la plus puissante, est malheureusement coûteux et il demande des gardiens instruits ; il ne peut donc être employé que dans des points très importants d’une part et où l'on est sûr d'autre part de trouver toujours le personnel voulu.

Dans bien des cas les phares comportent à titre de secours, en cas d'avarie survenue au mode d'éclairage principal, un dispositif d’éclairage à huile minérale à mèches multiples.

Nous devons indiquer qu’il existe des phares qui ne sont pas gardés ; on les visite tous les huit, tous les quinze, tous les trente jours même.

Enfin nous signalerons même un phare qui n'a pas de foyer lumineux, c'est celui des Hébrides, sur l'Armish Rock ; ce phare est constitué par un miroir qui reçoit la lumière du phare de l'île de Lewis dont il est séparé par un canal large de 150 mètres.

Les phares se sont multipliés et ce développement même eût pu devenir un danger pour le navigateur s'il n'y avait pas toute une réglementation qui permette de les distinguer les uns des autres. On a adopté un langage spécial dont la traduction, pour ainsi dire, est contenue dans un livre publié par le ministère de la marine et qui contient les renseignements nécessaires sur tous les phares du monde. Ce langage consiste en différences apportées dans les feux des divers appareils. C'est ainsi qu'il y a des phares dont le feu est fixe et blanc, d’autres dont le feu est fixe et rouge ; dans d'autres appareils le feu est blanc mais à intervalles parfaitement fixes, il donne un éclat, cet éclat pouvant être blanc ou rouge. D'autres phares seront scintillants, d'autres clignotants, d'autres à éclipses. Enfin il y a des feux éclairs qui donnent des éclipses et des éclats à des intervalles déterminés.

Le langage des phares.

En outre les phares ne se succèdent naturellement pas dans le même ordre partout ; ici ce sera un phare éclair qui sera suivi, sur la côte, par un phare fixe, lui-même suivi d'un phare scintillant, ailleurs ce sera mi feu éclair voisin d'un feu à éclats, lui-même voisin d'un feu blanc à éclats rouges, etc. Cette variété de position des phares les uns par rapport aux autres achève de rendre parfaitement clair le langage des phares et les navigateurs ne s'y trompent pas. Il faut cependant pour éviter toute erreur que le fonctionnement du phare ne laisse rien à désirer ; il est évident, en effet, que si un phare s'éteint, ou s'il ne marche pas normalement, si par exemple il donne un feu fixe blanc au lieu d'un feu rouge bref, s'il y a le moindre changement dans ses indications le marin sera désorienté et il arrivera même que cela l'égarera complètement et amènera une catastrophe. On. comprend donc l'importance que l'on attache aux modes d'éclairage qui doivent être d'une sécurité absolue et l'obligation où l'on est de faire garder les phares par des hommes qui les entretiennent.

Nuits tragiques.

La garde d'un phare demande dans certains cas la présence d'hommes qu'il faut choisir avec le plus grand soin ; ces hommes seront mis en effet, à la plus cruelle des épreuves, celle de l'isolement et dans des conditions souvent fort pénibles et fort impressionnantes ; certains phares ont dû être construits très en avant dans la mer sur quelque rocher isolé, où celle-ci est démontée, pendant toute la durée de l'hiver; dans ces conditions il ne faut pas songer à maintenir la communication entre la terre et les gardiens et c'est quelquefois pendant plusieurs semaines que les hommes vivent séparés du continent avec des provisions de bouche et de l'eau en réserve.

Ils sont en général deux ou trois et se relaient pour la surveillance du phare ; ils sont là complètement isolés du reste du monde, loin de tout, de distraction, de médecins, de famille. C'est dans l'un d'eux qu'eut lieu, il y a peu de temps, cette tragédie racontée par tous les journaux : ce phare était gardé par deux hommes dont l'un tomba malade ; dans l'impossibilité de communiquer avec la terre, cet homme resta sans soins et finit par mourir ; l'autre resta alors près de son camarade mort et continua courageusement à assurer sans relâche le service du phare ; ce n'est qu'au bout de quelques jours que l'on put le délivrer et emporter son camarade à terre. Quant à la construction qui porte le phare, elle varie beaucoup ; sur une côte élevée son installation ne présente aucune difficulté : un simple soubassement suffit ; sur les côtes basses ou les îles recouvertes par les hautes mers il n'en est plus de même et il est alors nécessaire de construire de véritables tours ; c'est ainsi que le phare en maçonnerie de l’Ile Vierge dans le Finistère a une hauteur de 75 mètres. La construction est en général circulaire pour offrir moins de prise au vent et aux lames ; on emploie aussi la forme octogonale qui est la plus économique, la plus commode pour l'aménagement intérieur du logis et offre encore une résistance suffisante. Le fer n'est pas très employé parce qu'il c st coûteux et est très sensible aux intempéries.

 

La portée des phares.

Il nous reste un dernier mot à dire sur les phares. Dans les appareils à longue portée on distingue la portée géographique et la portée lumineuse ; on sait, en effet, que la terre est ronde et que d'autre part les rayons lumineux issus d'une source lumineuse se dirigent en ligne droite ; si donc on considère un phare H. puis que l'on mène du haut de ce phare une tangente à la mer qui rencontre cette dernière en M on voit que toute la surface de la mer située au-delà de M ne recevra aucun des rayons de ce phare qui passeront tous au-dessus d'elle et qu'au contraire la portion. de la mer comprise avant M se trouvera éclairée ; la portée géographique est la distance qui sépare le phare du point M et l'on voit que suivant l'intensité du phare on aura intérêt, ou non, à augmenter cette portée en haussant l'appareil suivant que cette intensité lui permettra d'éclairer plus ou moins loin, et tout en restant d'ailleurs dans certaines limites pour ne pas atteindre une zone de brume.

Nous ferons d'ailleurs remarquer que si la surface de la mer au-delà de M ne reçoit pas de rayons du phare, un navire placé à cet endroit peut au contraire en recevoir en  raison de son élévation au-dessus de la mer, et ceci augmente dans des proportions importantes la portée du phare.

Mais les phares ne sont pas les seuls appareils de signaux employés pour protéger les marins contre les périls de la mer.

Dans cette lutte incessante de l'homme contre la nature redoutable et hostile, différents engins de combat ont été mis en action. Nous aurons prochainement l'occasion d’en reparler, notamment au sujet des balises, des bouées, etc. et, en général, de tous les « amers » qui signalent au navigateur la présence des écueils ou des passages dangereux.